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Manuella
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" En 2016, je me suis interrogée sur le destin des lettres ordinaires qui ne peuvent atteindre leurs destinataires en raison des erreurs d'adressage. Ce projet m'a conduit à Libourne dans le centre dédié de La Poste où les employés ouvrent les plis à la recherche d'indices leur permettant de retrouver l'expéditeur ou le destinataire. Parfois ils échouent à retrouver ces indices, et c'est dans ces courriers d'anonymes que je me suis immergée : lettres d'amour, d'amitié, d'histoires de famille, où se mêlent tumultes intérieurs, espoirs et questionnements.
J'ai souhaité que, quel que soit le destinataire, ces mots puissent être entendus. Entre 2017 et 2020, plutôt que de les envoyer au recyclage, la Poste m'a réexpédié des dizaines de milliers de lettres perdues à partir desquelles j'ai produit un ensemble de travaux, performances et expositions, et notamment lors des expositions " Les lettres ordinaires " à Vénissieux (2019, commissariat de Xavier Jullien, et aux Archives nationales (2020, commissariat : Gaël Charbeau).
A. W. Le livre Les lettres ordinaires est conçu comme une ultime oeuvre qui reviendrait unifier et enrichir l'ensemble du projet éponyme d'Adrianna Wallis. Il réunira un choix de lettres, de son travail de plasticienne, et plusieurs récits et réflexions : son journal, qui chronique cinq années de création, cheminement et pensées, des réactions de spectateurs, critiques, " Liseurs ", et le texte réflexif de l'historienne Arlette Farge inspiré de " ce monde en rebuts, inconnu de tous et si signifiant ".
Un livre polyphonique pour embarquer le lecteur dans une expérience éditoriale intime et immédiate du travail de l'artiste et de l'univers des lettres perdues. -
Téléphonées, enregistrées, médiatisées, les voix aujourd'hui laissent des traces, des impressions, surtout en ce qui concerne les personnalités du monde politique ou artistique. Mais les voix de chaque jour, employées à tout instant, celles des anonymes, n'ont plus ni le même effet, ni la même influence que celles des sociétés orales, comme le xviiie siècle par exemple.
A présent, les voix ordinaires, de tous et de toutes, semblent inaudibles, étouffées sous le brouhaha des voix émises par radios, téléphones, répondeurs, CD, portables... Pourtant, comme le montrent les photographies de Virginie Balabaud, elles sont si présentes et signifiantes, si emplies d'affects et de présence : on peut partir du silence (les voix tues des enfermés, prisonniers, hospitalisés) pour en appréhender l'irruption puis cheminer à travers ses multiples paysages : le travail, la famille, les loisirs, les groupes, les indignations et manifestations, les formes d'autorité vocale émises par les institutions, etc.
« Photographier les voix », écrire à partir d'elles et dans leur élan, permet au geste de la photographe et à celui de l'écriture de se mêler pour donner au grain de la voix, à ses infinis tempos et aux corps qui les émettent, un vrai rendez-vous avec l'essence même de la relation humaine. On s'aperçoit alors que la voix, ce souffle éphémère et immatériel, est ce qui tient l'autre à l'un, afin d'être soi, entre silence, suspens, hésitation, rires et larmes. La vie est aussi un long chemin vocal, qui s'évanouit dès qu'il apparaît.