La première célébration, en 1890, du 1er mai en France eut lieu sous haute surveillance policière. Une petite ville échappe : à Vienne, en Isère, surgit le spectre de l'anarchie, de la « foule » hors contrôle, hommes, femmes, enfants... La grève éclate, le maire est malmené, le commissaire «?abîmé?», une fabrique de drap pillée. Un mot flamboie?: «?Prenez, c'est à vous?!?» L'avant-veille, deux orateurs de renom étaient venus chauffer les esprits?: Louise Michel et Alexandre Tennevin, un cogneur.
Tennevin et les «?meneurs?» locaux, Pierre Martin en tête, sont condamnés en août par la cour d'assises de Grenoble. Louise Michel, écartée du procès, déclarée folle, menacée d'internement, se multiplie d'autant plus par la parole et par la plume (conférences, mémoires, romans, poésie...).
Qui, de l'accusateur ou des accusés, tient la sellette ? Qui définit l'événement?? Émeute?? Révolution?? Affirmation du «?droit à l'existence?», première lueur du «?banquet de la vie?» pour tous?? «?Les bêtes du bois peuvent boire à la source, on fera de même?» (Louise Michel).
Qui pèse les faits et les valeurs?? Qui pose les mots - quels mots, avec quelles images, quels rythmes?? Au procès, puis par les écrits, c'est tout un art anarchiste de l'éloquence qui se déploie, un style, un souffle. Au-delà, à travers la mémoire, les récits et les recréations (Pierre Martin, Élisée Reclus, Louise Michel...), le sens et l'épopée s'élaborent, la société, la nature et la justice se réinventent.
Claude Rétat accompagne cet essai d'un dossier de textes & témoignages (brochure des anarchistes sur le procès de 1890, presse, dossier judiciaire et autres archives, parmi lesquelles les rapports de police sur les conférences de Louise Michel) et d'une riche iconographie.
Connaît-on bien Louise Michel ? La célèbre communarde, la fameuse anarchiste, la Grande Citoyenne (1830-1905), oui. Mais l'écrivain et l'"artiste en révolution" ? L'inventrice du "clavier d'outre-rêve", d'un méga-orgue, d'une harpe aux nerfs vivants, de concerts cosmogoniques, l'amie du symbole et du frisson ? Mais l'Insurgée immergée dans l'art total, qui veut recréer le monde et la beauté, synonyme pour elle de révolution, antithèse du politique ? Puisant à des sources méconnues, s'appuyant sur des textes et images inédits, Claude Rétat, au rebours des clichés réducteurs, nous ouvre un point de vue neuf sur Louise Michel chez qui le rêve et l'action, l'artiste et la révolutionnaire ne font qu'un : l'histoire et l'imaginaire entrent en résonance.