" Comment découvrir la porte d'entrée des êtres et des choses ? Comment accéder à l'autre, à tout ce qui n'est pas moi, à tout ce qui m'échappe et m'abandonne à la solitude ? Oui, je vais perdre ceux que j'aime. Oui, je vais mourir. Mais à cette certitude s'ajoute une grâce ou une énigme. Il existe des instants, des lieux à mi-chemin entre monde visible et monde invisible où le temps se suspend, où la dimension de l'un et de l'autre donne accès à une vérité plus belle et plus vraie. Seules ces rencontres inestimables avec l'autre nous aident à saisir le fait même de voir ou de penser. " CF Dans la Métaphysique de l'imagination, l'imagination est une âme ; les images sont, selon Bachelard, les " métaphores de la vie ".
L'Orient et l'Occident s'absentent de la géographie pour devenir les pôles métaphysiques de la pensée. C'est quand l'imagination devient principe de réalité et d'événement que l'âme quitte son exil occidental pour accomplir son " lever " oriental. On approche alors d'un monde imaginal, situé entre sensible et intelligible, entre spiritualité et corporalité.
C'est à la lumière de Sohravardî et en essayant de saisir la pensée de l'Imâm que l'auteur tente d'accéder à l'essence de l'imagination poétique, où la Révélation côtoie l'Intelligence. C'est grâce à Blanchot et à son interprétation de l'écriture et de la lecture qu'elle entrevoit le face-à-face ultime avec la lumière de l'autre : la source d'où émane la connaissance de soi. C'est avec Ibn Arabi, Rûzbehân, Kant, Lévinas et Rilke que l'auteur fait l'apprentissage de l'imagination poétique et créatrice... Cette démarche définit une " impiété filiale " qui se révèle être la véritable fidélité à l'Un.
En vous proposant de partager son sillon, l'auteur vous convie à devenir le pèlerin de ce voyage dans le réel qu'est l'imagination.
Cynthia Fleury, docteur en philosophie, travaille dans le cadre du CNRS sur les platoniciens de Perse et les platoniciens de la Renaissance.
Obscurité mallarméenne et science de l'imâm. Mallarmé et l'imâm savent ce qui les sépare de Dieu ou de la poésie, c'est eux-mêmes : le voile, symbole de la descente de l'Idée, devient le lieu de la conquête poétique du soi. Il découvre le fondement du réel : l'aperception du rythme éternel ou aperception de l'inouï.
Entre la fiction et le vers, entre le sens et la mesure, la poésie s'énonce. On entend dans le vers l'inaudible, ce qui pousse l'inouï vers l'in-ouï, vers sa limite in-finie. À l'instar de l'imâm, le poète connaît le peu de valeur d'un sens découvert. Entre le sens et la littérature, il y a l'Idée ou la subtilité de la musique. Cette alchimie du sens et de la littérature, c'est proprement de l'in-ouï, l'ampleur du vers mallarméen conjugué au vent naturel qui souffle dans la demeure d'Igitur.
Comme les Noces d'Hérodiade, les noces de l'imâm et de Mallarmé sont solitaires : face-à-face du seul avec le Seul. La noce ne dit plus la fusion, mais la condition phénoménale du monde et la vérité de l'intelligibilité. Le monde apparaît parce que la noce existe. Pourtant, la noce est vierge et créatrice.
Face-à-face ultime entre science de l'imâm et parole poétique : Hérodiade, nom divin, " pierre précieuse ", est indissociable d'une effectivité qui se traduit dans le verbe du prophète. Il est le " chaton de sagesse ", centre langagier, puissance hallucinatoire. Accéder à la sagesse, c'est accéder à la véracité du phénomène, à l'apparition sous l'apparence, ou encore à la disparition nécessaire du soi devant l'invisible de la Face.