Le substantif « communs » (de l'anglais commons) est d'usage relativement récent en français. Mais la réalité qu'il désigne est de tous les temps : les communs, ce sont les ressources gérées collectivement par une communauté. La notion a refait surface aujourd'hui, et sous cette forme, face à la menace de leur disparition. Pour mieux les gérer, l'heure n'est-elle pas venue d'inventer de nouvelles formes d'organisation et de coopération ? Encore faudrait-il réévaluer les rapports sociaux et la répartition des richesses en posant les bases d'autres manières de préserver ce qui compte réellement. Remise sur le devant de la scène grâce, notamment, aux travaux d'Elinor Ostrom (prix Nobel d'économie en 2009), la dynamique des communs est plurielle et prend de l'ampleur. Elle porte une capacité d'action inédite, orientée vers la prise en charge collective de multiples biens ou services. À ce titre, elle est incontestablement politique : porteuse d'une vision et d'une attente, elle touche à la volonté de réappropriation de la chose publique et induit de nouvelles formes d'engagement.
L'anarchisme demeure un mouvement largement méconnu, pourtant riche de théories et d'expériences qui ont marqué, souvent dans l'ombre, les deux derniers siècles.
Né en Europe lors de la révolution industrielle, il se forme en réaction à la condition prolétarienne et à l'autorité de l'État. Si l'anarchisme naît d'une négation radicale de tout ce qui diminue ou asservit l'homme, il est aussi porteur d'un projet fondé sur l'égalité, la liberté et l'autonomie. Les courants multiples qui nourrissent l'idée anarchiste se retrouvent ainsi unis dans des combats (contre les totalitarismes, le colonia-lisme, le capitalisme...) menés de concert avec des pratiques grosses de la société future (syndicalisme, écoles, fédéralisme, communes libres...).
Éclipsé un temps par l'hégémonie marxiste, le projet libertaire renaît aujourd'hui, ouvrant de nouvelles perspectives d'émancipation empreintes d'expériences passées toujours vivantes.
Rien de plus mondain, rien de plus séculier, rien de plus rationnel, en apparence, que l'économie. Et s'il ne s'agissait que d'une illusion ? Repoussant les évidences faciles d'une vulgate économique devenue idéologie par défaut du contemporain, Edouard Jourdain propose dans Théologie du capital de dresser la carte des liens qui existent entre les concepts économiques les mieux établis et leur origine dans les grands débats théologiques ayant émaillé l'histoire de l'Occident.
De la propriété à la comptabilité, de l'idée de marché à celle d'intérêt, de la conception qu'on s'y fait du travail aux rêves cybernétiques qui en hantent les derniers développements, tous les concepts de l'économie moderne sont des concepts théologiques sécularisés. A l'heure où le modèle capitaliste chancelle sur ses bases, comprendre d'où proviennent les modèles intellectuels qui lui ont donné naissance représente une tâche plus urgente que jamais - car c'est de cette compréhension que pourra naître, peut-être, notre émancipation véritable par rapport à eux.
C'est cette tâche que Théologie du capital affronte, en un geste aussi panoramique qu'érudit.
Elinor Ostrom est la première femme à recevoir le prix de la Banque de Suède dit "Nobel d'économie" en 2009. Cet accomplissement vient couronner une vie de travaux consacrés à la notion de "communs" : des organisations sociales qui gèrent collectivement des ressources en se donnant leurs propres règles. Son oeuvre foisonnante montre comment ces formes d'auto-gouvernement sont souvent plus à même de préserver les biens communs que l'Etat ou le marché seuls. A l'heure des crises sanitaires, écologiques et sociales, cette première monographie en langue française consacrée à Elinor Ostrom vient ainsi réparer une injustice et provoquer le débat sur un dépassement du clivage public-privé, initiant un profond renouvellement de la pensée économique, sociologique et par-dessus tout politique.
« Qu'est ce que la propriété ? C'est le vol », « Dieu, c'est le mal ». On ne retient le plus souvent de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865) que ces formules provocatrices, dont l'écho n'a d'égal que leur incompréhension. Il a été taxé de petit-bourgeois, de communiste, ou de réactionnaire par ses adversaires de tous bords. Sa pensée mérite pourtant d'être redécouverte, car sa critique radicale des institutions sociales ouvre sur une pensée du droit très originale. Proudhon n'envisage jamais la justice comme une simple idée abstraite : elle constitue avant tout une force en prise avec l'histoire. En critiquant la Loi pervertie par l'Etat, la religion ou la propriété, il entend redonner toute sa crédibilité et toute sa puissance au droit afin qu'il se rapproche au mieux de la Justice. « Pour qu'il y ait une société entre des créatures raisonnables, il faut qu'il y ait engrenage réciproque : ce qui ne peut se faire qu'à l'aide d'un autre principe, le principe mutuelliste du droit. » L'anarchie prônée par Proudhon est une philosophie du droit.
Les normes comptables, véritable coeur de fonctionnement de l'entreprise et de l'État, revêtent une dimension éminemment politique : technique neutre et simple en apparence, reposant sur la vérification d'entrées et de sorties d'argent, la comptabilité offre pourtant autant de modèles comptables que de représentations du monde et de ce qu'il paraît juste à une société de valoriser. Édouard Jourdain montre l'évolution de la fonction des normes comptables dans l'histoire, ainsi que l'idéologie libérale dont elles sont tributaires aujourd'hui. Il propose ensuite des outils pour penser des normes où les définitions du capital et de la valeur s'inscriraient dans une économie du commun, nécessaire à la bonne marche vers une transition écologique et économique.
« La propriété, c'est le vol », cette phrase connue de Proudhon dans Qu'est-ce que la propriété ? (1840) fit scandale.
Proudhon (1809-1865) participe au bouillonnement des idées socialisantes du XIXe siècle avec Marx, Bakounine, ou encore Fourier...Marx qualifia son socialisme de scientifique. C'était un penseur aussi isolé qu'il fut novateur et qui ne se reconnaissait pas dans les camps idéologiques de son temps. Son oeuvre a été récupérée par de nombreux courants, parfois contradictoires.
S'il demeure un homme du XIXe siècle, les lignes de force de sa pensée ont traversé le XXe siècle, parfois souterrainement, pour rejaillir aujourd'hui. Le rôle de l'État, les droits de l'homme, la justice, l'organisation du travail, l'accès au crédit, la sécularisation, la guerre, l'utopie : toutes ces interrogations de Proudhon demeurent encore les nôtres. Tout en présentant la pensée de Proudhon dans son impressionnante diversité et dans sa vive complexité, Édouard Jourdain lui imprime une nouvelle force en la confrontant à des auteurs plus proches de nous : d'Elinor Ostrom à Paul Ricoeur, de Georges Gurvitch à Chantal Mouffe, de Julien Freund à Hannah Arendt.
Loin du petit bourgeois auquel l'a réduit un certain marxisme, c'est un penseur dégagé de tout dogmatisme, vivifiant le débat politique que découvrira le lecteur.
La pensée de Proudhon est complexe et se polarise sur des domaines aussi diversifiés que l'économie, la politique, la religion ; la sociologie, l'art ou la morale. Deux concepts corrélatifs nous permettent de saisir la cohérence de cet ensemble : Dieu et la guerre. Proudhon, en effet, pense systématiquement la guerre, loi universelle du genre humain, dans son rapport avec Dieu, c'est-à-dire l'Absolu. De cette manière il effectue l'archéologie de l'Etat, des pouvoirs, de la morale et des rapports sociaux en général.
Parallèlement au développement d'un capitalisme financier et de l'extension du marché à tous les domaines de la vie, induisant par conséquent un recul de la protection sociale et des services publics en général, des formes de coopération émergent en marge des systèmes classiques privilégiant soit le marché soit l'État comme vecteurs principaux du lien social. Ces formes de coopération, qui ont connu une existence pratique avant leur formulation théorique, s'inscrivent dans le mouvement des communs, qui connaît aujourd'hui un essor grandissant malgré les obstacles économiques et institutionnels.