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Notre siècle a perdu l'homme de terre. Le Sud paie de sa survie l'élimination massive des paysans. A l'Est, après soixante-dix ans de communisme, le marteau a écrasé la faucille. Et au Nord, les excès de la modernité, des machines et de la chimie préparent l'avènement d'une banquise brune, ces jachères qui cultiveront demain leur gémellité avec la friche, sauf si l'intelligence ou le bitume... Paysans sans terres sous les tropiques, terres sans paysans sous nos yeux, glorification fatale de l'homme de fer dans l'ancien " glacis ", c'est partout le désarroi.Il subsiste cependant une agriculture vivante et diverse, dont les performances n'ont pas gommé l'apprentissage des savoirs, des terroirs, des gestes ancestraux sans cesse améliorés. Cette agriculture, perçue comme un art de localité, existe en France, pays au climat tempéré qui n'ignore pas les passions. Epilogue d'une lointaine hémorragie, la plupart des paysans auront disparu à la fin du siècle. Ceux qui resteront vont connaître un vertige horizontal: occuper, avec bêtes et plantes, plus de la moitié du territoire français. Esseulés et nécessaires funambules, surhommes de la terre. Dix mille ans après son apparition, l'agriculture est-elle encore cet acte d'enracinement qui marqua la fin du nomadisme et rendit tangible le souci du lendemain? Le XXIe siècle en quête de spiritualité retrouvera peut-être la foi du semeur qui sacrifie une graine pour voir lever un épi. Si elle le veut, la France sera le pays où s'arrête la chasse à l'homme de terre.Eric Fottorino, trente-trois ans, est journaliste et écrivain, chargé d'enseignement à l'Institut d'Etudes politiques de Paris. Ancien spécialiste des questions agricoles au Monde, il a publié plusieurs essais dont La France en friche (Lieu Commun, 1989). Il est l'auteur d'un roman, Rochelle, paru en 1991 chez Fayard.