On ne lit plus guère Alphonse Gratry et c'est dommage, non seulement parce qu'il fut l'un des penseurs religieux les plus marquants du XIXe siècle, mais aussi parce qu'il était un écrivain de talent et un témoin averti de son temps. Issu d'un milieu anticlérical de serviteurs de l'Empire napoléonien, converti au catholicisme sous la Restauration, polytechnicien, directeur du collège Stanislas à Paris, puis aumônier de l'École normale supérieure, il a contribué, en 1852, à refonder l'Oratoire de France.
Catholique inclassable, pionnier du dialogue oecuménique, militant de la paix, il était persuadé que l'Église de son temps vivait un "moment solennel" de son histoire, comparable en importance à celui de ses origines, duquel dépendrait en grande partie son avenir dans les sociétés occidentales. Philosophe, il est à l'origine du système de pensée le plus complet et le plus caractérisé que le monde catholique français ait produit au XIXe siècle, qui a influencé tout une lignée de penseurs indépendants du thomisme. La fin de son existence a cependant été très assombrie par les conséquences de ses prises de position retentissantes contre l'infaillibilité pontificale en 1870, même si son ralliement in extremis au dogme lui a permis d'échapper à une damnatio memoriae qui aurait pu être définitive, mais qui n'a finalement été que provisoire.
Le but de cet ouvrage est de faire redécouvrir cette figure majeure de l'histoire religieuse et intellectuelle du XIXe siècle, à travers un essai biographique, la première édition critique et intégrale de ses souvenirs et une anthologie de textes représentatifs de la diversité des thèmes de sa pensée comme des formes de son écriture.
De Michelet à Michel de Certeau, il semble qu'on ait à peu près tout dit du rapport des historiens à la mort et aux morts. Mais peut-être n'a-t-on pas assez souligné à quel point la découverte, au détour d'un dossier d'archives, d'un manuscrit exceptionnel comme Philosophie de la mort de frédéric Ozanam, fait partie des bonheurs de la recherche. Tout à coup, sans crier gare, dans ce monde souvent caduc où l'historien de la culture et de la religion promène son regard distancié d'ethnologue du passé.
Une voix se fait entendre : insolite, émouvante, irréductible. On a trouvé un " texte " parmi les " sources ". Mieux : un vivant parmi les morts. Pas n'importe quel vivant en l'occurrence, puisqu'Ozanam est une figure majeure de l'histoire religieuse, intellectuelle et politique du XIXe siècle qui est abordée dans cet ouvrage à travers le prisme de sa vie spirituelle et de son rapport à la mort. Questions cruciale s'il en est pour ce chrétien soucieux de " ne pas sortir inutile de ce monde ", mort à tout juste quarante ans, au beau milieu d'une existence pleine de dons et de promesses, des suites d'une longue maladie qui lui a laissé le temps de se confronter douloureusement au problème.