Il ne saurait y avoir de « portrait complet » de Denis Roche. Pourquoi ? En raison de sa mobilité extrême, de la multiplicité des positions qu'il a occupées successivement ou simultanément : écrivain et photographe, éditeur et traducteur, poète et post-poète. Parfait dandy révolté, érudit désinvolte, promeneur solitaire, amoureux absolu, créateur de formes. Il est peu d'oeuvre aussi stratégiquement déterminée que la sienne mais en même temps aussi fougueusement improvisée. Ennemi irréductible du lyrisme des « poètes », il est aussi le plus lyrique des artistes. Le plus radical et le plus véhément. Son influence est décisive, à la mesure de son indifférence à l'exercer. On tente ici d'en restituer tout le plus vif.
Une exploration en treize chapitres de la question du nom.
Ce livre n'est pas un recueil, mais le déploiement, en treize chapitres, d'une seule et même question, celle du nom ou du sans nom (« pas de nom propre »). Et cette question est explorée à travers les débris d'une enfance marquée par l'obsession du retour : « Il viendra sans que je le sache ». Mais qui ? Celui d'abord qui était revenu sans revenir et pour qui « il n'y a pas d'après-guerre », et qui parle à l'intérieur du corps de celui qui écrit. Et l'Autre, qui ne cesse de faire sourdement appel dans le bruit des cibles et des rituels, invisible et caché dans le nom. Ce qu'on nomme la « poésie » (ou parole brisée) célèbre ici la disparition des images, « jusqu'à ce que l'écran se vide ». Ou la mémoire. Tout se passe ici, en temps réel, dans le style de l'attente, en noir et blanc. Un livre, comme une photographie qu'on déchire.
« le nom vient d'éclater à l'intérieur de la tête lettre à lettre à franchir encore, laissé dans la boîte ici cassée ou ruine ou qui s'écroule encore et retombe sur le pavé humide ou bien à l'intérieur du corps qui s'écroule à son tour mais rien ne reste ici revenir est le sens, mais que revenir ? Parler cette langue toujours plus mal, enfoui sous les planches, oubli, oubli. Où revenir ? Le nom vient d'éclater en silence. Il traverse le corps. »
Chacun se souvient de l'affaire du sabotage d'une caténaire de la SNCF, en 2008, revendiqué par un groupuscule révolutionnaire allemand ? Et le fiasco judiciaire qui s'en est suivi.Jean-Marie Gleize écrit en 17 chapitres, un index, une chronologie, un plan, quatre photos, des descriptions, une sorte de dossier d'enquête judiciaire d'où se dégage un récit très lisible de cet acte de sabotage.Le titre, puis la dédicace : " Tarnac pour Julien Coupat et ses camarades " placent immédiatement le lecteur dans un présent à la fois contemporain et politique. Ils s'inscrivent en même temps dans l'étrange destinée de cette affaire d'état, rendue littéraire dès le début, par la découverte du livre L'insurrection au domicile des présumés terroristes par les forces de l'ordre.Comment décrire, comment écrire l'événement révolutionnaire aujourd'hui ? Tarnac est une réponse à cette question, à la fois dans sa qualité de document inscrit dans l'histoire révolutionnaire (qui est aussi celle de la poésie, acte de résistance) et dans les particularités de son écriture : fragmentation du récit, assemblage de genres hétéroclites, implosion de l'écriture.
Déplacer, se déplacer.
Ici sans liens, sans lieu.
Epeler une révolution possible.
Le récit commence avec la rivière.
Nous n'avons pas de noms.
Les morts reviennent quand il pleut.
Une écriture à fragmentation.
La politique, comme une gorgée d'eau.
Ici aux lisières, avec les restes brûlants.
Faire pousser des ronces. Le présent simple.
Un communisme sensible.
Dans Poésie et figuration, Jean-Marie Gleize trace la genèse de ce qui serait une « poésie moderne », de Lamartine à Denis Roche. Les huit lectures proposées ici s'articulent les unes aux autres à la façon d'un procès : celui que la poésie instruit contre elle-même ; celui qui la fait devenir ce qu'elle est, ce qu'elle sera. « Cette histoire, on s'en doute, n'est pas linéaire ; les tracés se recoupent ou se recouvrent, se superposent et s'annulent. L'enquête est menée à l'intersection de deux questions clés : la constitution du "moi" et ce qu'il représente, oufi gure, à travers ses multiples catastrophes, effacements, métamorphoses. En un mot, c'est la curieuse histoire littérale du sujet lyrique, brûlante, paradoxale, en cours ».
Existe-t-il une poésie après la poésie, en avant d'elle? Une prose qui serait littérale, très "particulière" ? La poésie n'est rien d'autre que le moment où cette question se pose. Or : 1) La poésie n'arrange rien. 2) Elle ne consiste pas à reproduire le réel, mais à se rendre à lui, à rendre le réel, à rendre réel. 3) Cela est impossible, interminable, inachevable, nécessaire. Cela est précisément la littérature. Prenons parti, en guise de "manifeste indirect", pour un réalisme intégral.».
Un très beau texte inédit de J.M. Gleize, avec cinq dessins à l'encre d'Agathe Larpent. Un travail à quatre mains qui est une nouveauté dans la collection...
« La poésie, c'est d'abord, pour nous, lapoésie, grand totem historique qui continue, à travers école et médias, de s'imposer comme expressivité, harmonie, sincérité, visions.
La repoésie d'aujourd'hui, qui cherche dans le quotidien les traces d'un chant essentiel, n'est rien d'autre que son avatar nostalgique. Quant à la néopoésie, apparemment plus en phase avec le présent, elle vise surtout, sous de nouveaux atours techniques et spectaculaires, à multiplier les «féeries». Depuis la fin du xixe siècle et Rimbaud, quelques auteurs ont tenté de libérer la poésie d'elle-même, pour la reconcevoir. Ils l'ont pensée avant tout comme une manière de comprendre la réalité, ils ont cherché les outils, conceptuels, verbaux, formels de cette nouvelle entente. Les 52 textes et interventions rassemblés dans Sorties supposent donc qu'il y a un dehors, et un après. Et non une seule façon de sortir ou de s'en sortir, mais une pluralité de gestes, de postures, de dispositions à l'échappée, liée aux différentes façons de concevoir une refonte de l'«industrie logique». Vastes chantiers postgénériques que ce livre décrit en contexte et dans leurs visées «politiques». Il s'agit d'insoumission, d'actes et d'actions. »
Le Livre des cabanes est un texte fragmentaire, où se mêlent de longues proses, des poèmes, des images et des slogans. L'ensemble, d'une grande lisibilité, forme un mouvement de construction, non d'un sens, mais d'un lieu, brinquebalant, au toit plus ou moins solide, certainement pas - chaque page, chaque fragment étant un morceau ajouté aux autres pour esquisser une histoire possible : l'histoire passée et à venir d'un homme, d'une écriture, d'un engagement.
On oscille entre des pages apparemment très intimes où il est question de l'enfance, d'un aïeul, de souvenirs ; des moments de fiction ou de scénarios possibles sous formes de pages indépendantes ou de séquences parfois dialoguées qui forment autant de « récit(s) d'un film à venir » ; et une accumulation de données historiques sous la forme par exemple d'« éléments de chronologie », comprenant une série de dates allant de 1309 à 2012 (décès d'Angèle de Foligno, date de production d'oeuvres d'art, souvenirs intimes, dates d'événements politiques), ou la référence à l'assassinat de Pierre Overney (militant maoïste de la Gauche Prolétarienne) par un vigile de Renault.
Il est au onzième étage, à l'angle de Columbus Avenue et de la 81e rue.
Dehors, au-dessus des arbres, vent, tourbillons, fragments déchirés de journal en vol. Dedans, les radiateurs de la chambre sont bloqués, brûlants, la télévision est allumée en permanence, et la musique coule, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans tous les couloirs de l'hôtel. Pendant ce temps, un corps brûle. Il a lu ces mots dans un livre: " Si quelqu'un pleure pendant la crémation, le corps brûle moins vite.
" Il imagine ce corps en feu dans le vide. Il entend cette musique de fleurs artificielles qu'il confond avec celle des couloirs. Il vit ce ralenti jusqu'à l'écoeurement. Il vomit. Il se répète cette phrase et quelques autres dont il ne comprend pas le sens : " naître encore ", ou bien " je connais cet endroit ", ou bien " j'ai mangé un poisson de source ". Ce qu'il veut, c'est sortir. Descendre, sortir.
Se retrouver dans la rue. Avec les chiens. Etre chien. Apprendre à écrire comme un chien fait son trou. Alors il ouvre son cahier. Il apprend à écrire en prose. Il rédige un manuel de prose. Derrière la porte la musique continue de couler. On dirait qu'elle est dans les murs, ou le plafond, ou le papier du mur. Il écrit contre. Jean-Marie Gleize
Texte irrésumable, mais dont le matériau poétique, par sa puissance évocatrice, se dirige vers un possible récit : une rêverie autour d'un livre d'enfance, où il est question du quotidien d'un jeune Esquimau et de son père ; des va-et-vient dans des lieux familiers, routes forestières, rivières, lacs, usines désafectées, témoins d'un passé industriel et politique révolu, mais dont les traces matérielles dessinent une zone poétique, qui prend aussi la forme d'un tombeau, celui du père de l'auteur, dans les dernières pages. L'écriture est semblable à un montage, parfois à un zapping, elle emprunte à des textes antérieurs, journaux, manuels, dictionnaires... mais aussi à la télévision, au cinéma, figurant un écran où la langue, comme le réel, ne cessent de s'engouffrer et de se perdre.
Dans le prolongement des autres livres de Jean-Marie Gleize publiés dans la collection Fiction & Cie ( Léman, 1990 ; A noir, 1994 ; Le principe de nudité intégrale, 1995 ; Les chiens noirs de la prose, 1999 ; Néon, 2004), Film à venir interroge et invente les conditions d'apparition (et de survie) de la parole poétique dans le champ littéraire actuel, avec une rigueur et une intensité rares.
NÉON, Paris, Hôpital Saint-Louis, fin août.
Un bruit d'hélicoptère.
Depuis que la musique a envahi l'espace, un bourdonnement humide, imperceptible et flou, depuis, un à un, les objets se sont écroulés sur eux-mêmes.
La musique, celle des moteurs, des radiateurs, des chiens.
Le mystère est le poids du temps en signes simples, en couloirs blancs, en amas de branches et de fragments. Des choses pas symétriques du tout.
Lui, son corps de carton, il est couché dans la chambre d'angle, à l'étage des fougères. Face à l'écran vide, atlantique, vert-muet pourrissant.
La scène est projetée au ralenti, et ce ralenti c'est la guerre.
Lui, son corps, il attend.
Il regarde ses mains.
Il attend. Elles grandissent.
Nuits sur nuits de lait ou de lumière ou nuits de néon.
Alors que faire ?
La réalité est-elle cette totalité de signes noirs ?
« Il n'y a plus rien entre Dieu et nous ».
Jean-Marie Gleize.
S'il y a une « poésie moderne », langue vivante, « langue de vent violent », affrontant la mort et sa mort, Poésie et Figuration tend à en déployer la genèse, à côté des étiquettes académiques, avec et contre la chronologie, de Lamartine, auteur-acteur d'un lac, à Denis Roche, dissipateur de langues, photographe de la vie réelle.
Les huit lectures qui jalonnent ce chemin (Lamartine, Hugo, Corbière, Rimbaud, Artaud, Ponge, Guillevic, Denis Roche) s'articulent les unes aux autres de façon à suggérer les moments d'un procès : celui qui la poésie instruit contre elle-même, celui, le même, qui la fait devenir ce qu'elle est, ce qu'elle sera. Mais cette histoire, on s'en doute, n'est pas linéaire ; les tracés se recoupent ou se recouvrent, se superposent et s'annulent. L'enquête est menée à l'intersection de deux questions clés : la constitution du « moi » et ce qu'il représente, ou figure, à travers ses multiples catastrophes, effacements, métamorphoses. En un mot, c'est la curieuse histoire littérale du sujet lyrique, brûlante, paradoxale, en cours.
Il n'y a rien d'autre que le commencement. Noir, blanc et noir, points, signes brefs, pleins et déliés, lignes et lettres, littérature. J'appelle nudité intégrale le point où tout coïncide (où tout commence). Chaque phrase de ce livre sera pour manifester le désir de l'accès à la nudité nue. Comment faire? Les «manifestes» affichent le programme : cracher Dieu, insérer le corps dans le paysage, déflrnr les formes réelles, modifier le lit de la rivière, toucher le fond, écrire en prose, écrire sans force, écrire à mort, etc. En état de légitime défense. Il faut qu'à chaque tour de roue la nudité gagne. Alors (c'est logique) : «tout doit disparaitre». Tout, de A à Z. Le bruit du feu en continu. L'incendie du grand dictionnaire. Le travail épuisant de la poésie (histoire, philosophie, encyclopédie, tout devrait y passer). Au bout du chemin, ouvrez les yeux! La poésie est faite par tous. Ils finissent par se ressembler. Inconnus à tête d'os. Plus nus que nus. Dans la fosse commune. Anonymes foulés aux pieds. Un manifeste pour être encore plus froidement réalistes. Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés.J.-M. G.