«Donc j'étais tout à l'heure au Jardin public. La racine du marronnier s'enfonçait dans la terre, juste au-dessous de mon banc. Je ne me rappelais plus que c'était une racine. Les mots s'étaient évanouis et, avec eux, la signification des choses, leurs modes d'emploi, les faibles repères que les hommes ont tracés à leur surface. J'étais assis, un peu voûté, la tête basse, seul en face de cette masse noire et noueuse entièrement brute et qui me faisait peur. Et puis j'ai eu cette illumination.
Ça m'a coupé le souffle. Jamais, avant ces derniers jours, je n'avais pressenti ce que voulait dire "exister"».
T- Comment s'appellent-ils, ces trois-l´r ?
- Steinbock, Ibbieta et Mirbal, dit le gardien.
Le commandant mit ses lorgnons et regarda sa liste :
- Steinbock... Steinbock... Voil´r. Vous etes condamné ´r mort.
Vous serez fusillé demain matin.
Il regarda encore :
- Les deux autres aussi, dit-il.
- C'est pas possible, dit Juan. Pas moi.
Le commandant le regarda d'un air étonné...t
L'être et le néant est un des textes majeurs de la deuxième moitié du XXe siècle. Jean-Paul Sartre (1905-1980) y pose les fondations de l'existentialisme : si Dieu n'existe pas, l'homme ne trouve ni en lui, ni hors de lui, des excuses ou des valeurs auxquelles s'accrocher; dès lors que l'existence précède l'essence, nul ne peut se réfugier derrière une nature humaine donné et figée. Où qu'il regarde, l'homme est seul, sans excuses, condamné à être libre.
«L'être ne saurait engendrer que l'être et, si l'homme est englobé dans ce processus de génération, il ne sortira de lui que de l'être. S'il doit pouvoir interroger sur ce processus, c'est-à-dire le mettre en question, il faut qu'il puisse le tenir sous sa vue comme un ensemble, c'est-à-dire se mettre lui-même en dehors de l'être et du même coup affaiblir la structure d'être de l'être. Toutefois il n'est pas donné à la "réalité humaine" d'anéantir, même provisoirement, la masse d'être qui est posée en face d'elle. Ce qu'elle peut modifier, c'est son rapport avec cet être. Pour elle, mettre hors de circuit un existant particulier, c'est se mettre elle-même hors de circuit par rapport à cet existant. En ce cas elle lui échappe, elle est hors d'atteinte, il ne saurait agir sur elle, elle s'est retirée par-delà un néant. Cette possibilité pour la réalité humaine de sécréter un néant qui l'isole, Descartes, après les Stoïciens, lui a donné un nom : c'est la liberté.»
TÉcriture et lecture sont les deux faces d'un meme fait d'histoire et la liberté ´r laquelle l'écrivain nous convie, ce n'est pas une pure conscience abstraite d'etre libre. Elle n'est pas, ´r proprement parler, elle se conquiert dans une situation historique ; chaque livre propose une libération concrcte ´r partir d'une aliénation particulicre... Et puisque les libertés de l'auteur et du lecteur se cherchent et s'affectent ´r travers un monde, on peut dire aussi bien que c'est le choix fait par l'auteur d'un certain aspect du monde qui décide du lecteur, et réciproquement que c'est en choisissant son lecteur que l'écrivain décide de son sujet. Ainsi tous les ouvrages de l'esprit contiennent en eux-memes l'image du lecteur auquel ils sont destinés.t Jean-Paul Sartre.
Ce volume contient :
* Les Mots (1964) ;
* Écrits autobiographiques 1939-1963 :
- Carnets de la drôle de guerre (1939-1940) - Autour des « Carnets de la drôle de guerre » : Journal des 10 et 11 juin 1940 / La mort dans l'âme / Exercice du silence, 1942 / Journal du 12 au 14 juin et du 18 au 20 août 1940 ;
- La Reine Albemarle ou le dernier touriste (1951-1953) - Autour de « La Reine Albemarle » : Lettre à Olga Kosakiewicz / Préface au guide Nagel « Les Pays nordiques » + Première version de la préface au guide Nagel / Lettre à Simone Jolivet ;
- Retour sur les « Carnets de la drôle de guerre » (Notes de 1954-1955) : Cahier Lutèce / Relecture du Carnet 1 / « L'Apprentissage de la réalité » (Notes sur la guerre et sur la Libération) - Jean sans Terre (1955 ?) ;
- Portraits (1960-1961) : Paul Nizan / Merleau-Ponty + Merleau-Ponty (première version, manuscrite) ;
- Vers «Les Mots » (Notes et esquisses, 1953-1963) : Fragments initiaux / Développements abandonnés / Esquisses des « Mots» ;
* Appendices : Lettre à Simone Jolivet (1926) / Notes sur la prise de mescaline (1935) / Lettre à Simone de Beauvoir (10 mai 1940) / Apprendre la modestie (après 1947) / Sartre parle des « Mots » (1953-1975) / « J'écris pour dire que je n'écris plus » (sans date) ;
Édition publiée sous la direction de Jean-François Louette, avec la collaboration de Gilles Philippe et Juliette Simont.
Voici le sommaire de ce volume :
- Préface, chronologie, note sur la présente édition.
- La Nausée. Le Mur. Les Chemins de la liberté : I. L'Âge de raison ; II. Le Sursis ; III. La Mort dans l'âme ; IV. Drôle d'amitié.
- Appendices : Dépaysement ; La Mort dans l'âme (fragments de journal) ; La Dernière Chance (fragments).
- Notices, notes et variantes. Bibliographie générale.
La part de l'inédit dans ce volume est importante. Elle est constituée d'abord par l'intégralité des passages de La Nausée supprimés par Sartre. Puis par la nouvelle Dépaysement retirée in extremis du recueil Le Mur. Par le journal de guerre intitulé La Mort dans l'âme. Enfin par des fragments de ce qui devait être le tome IV des Chemins de la liberté.
Inédits aussi certains documents publiés avec les notes, comme la correspondance entre Sartre et son éditeur à propos de La Nausée et une précieuse série de lettres à Simone de Beauvoir concernant la rédaction de L'Âge de raison.
«Cette pièce peut passer pour un complément, une suite aux Mains sales, bien que l'action se situe quatre cents ans auparavant. J'essaie de montrer un personnage aussi étranger aux masses de son époque, qu'Hugo, le jeune bourgeois, héros des Mains sales,l'était, et aussi déchiré. Cette fois, c'est un peu plus gros. Goetz, mon héros, incarné par Pierre Brasseur, est déchiré, parce que, bâtard de noble et de paysan, il est également repoussé des deux côtés. Le problème est de savoir comment il lâchera l'anarchisme de droite pour aller prendre part à la guerre des paysans...
J'ai voulu montrer que mon héros, Goetz, qui est un genre de franc-tireur et d'anarchiste du mal, ne détruit rien quand il croit beaucoup détruire. Il détruit des vies humaines, mais ni la société, ni les assises sociales, et tout ce qu'il fait finit par profiter au prince, ce qui l'agace profondément. Quand, dans la deuxième partie, il essaie de faire un bien absolument pur, cela ne signifie rien non plus. Il donne des terres à des paysans, mais ces terres sont reprises à la suite d'une guerre générale, qui d'ailleurs éclate à propos de ce don. Ainsi, en voulant faire l'absolu dans le bien ou dans le mal, il n'arrive qu'à détruire des vies humaines...
La pièce traite entièrement des rapports de l'homme à Dieu,ou, si l'on veut, des rapports de l'homme à l'absolu...» Jean-Paul Sartre.
Dans l'oeuvre dramatique de Sartre, bien et mal, volonté de résistance et esprit de résignation, héroïsme (réel ou joué) et lâcheté, victimes et bourreaux, idéalistes et réalistes dialoguent et s'opposent au fil de pièces qui empruntent à tous les genres sans en adopter aucun, voire en les détournant tous. Une grande diversité, donc, du moins en apparence : elle a pu masquer la profonde unité de l'oeuvre, qui est un théâtre de l'héroïsme et de sa démythification. Cette unité, il n'est pas certain que les spectateurs des «premières» aient eu le recul nécessaire pour la percevoir. L'édition qui paraît aujourd'hui permet d'en prendre conscience.
Même si Huis clos ne cesse d'être représenté avec succès, le théâtre de Sartre est un tnéâtre d'auteur et de lecture. Réunies dans une édition complète, accompagnées de scènes et de tableaux inédits, de témoignages sur les créations, de déclarations de Sartre et de ses proches, ces pièces qui furent comme le miroir d'un siècle aujourd'hui achevé peuvent désormais échapper à leur époque et être considérées d'un oeil nouveau, pour ce qu'elles sont : une interrogation, comparable à celles des mythes, sur la liberté de l'homme soumis à des situations extrêmes qui peuvent être, et qui sont, sa condition dans tous les temps.
«- La guerre, on le la fait pas:c'est elle qui nous fait. Tant qu'on se battait, je rigolais bien:j'étais un civil en uniforme. Une nuit, je suis devenu soldat pour toujours. Un pauvre gueux de vaincu, un incapable. Je revenais de Russie, je traversais l'Allemagne en me cachant...»
Premier ouvrage philosophique de Jean-Paul Sartre, publié par Hermann dès 1938 et constamment réédité depuis lors. La dernière édition a paru en avril 2010.
Qu'est-ce qu'une émotion ? Pourquoi faut-il affirmer qu'elle a une signification et refuser les approches de la psychologie positive comme de la psychanalyse ? Publiée en 1938 aux éditions Hermann, L'Esquisse d'une théorie des émotions fait partie de ces premiers textes fulgurants de Sartre qui témoignent déjà de son génie philosophique et de sa capacité à saisir les enjeux de la psychologie : Sartre nous y montre la nécessité d'une approche phénoménologique, seule à même de nous faire comprendre l'essence de l'émotion. Face à l'essor actuel des neurosciences et des sciences cognitives, le texte n'a rien perdu de son actualité et montre à quel point il importe encore aujourd'hui de penser la psychologie.
De mai 1958 à octobre 1964, Sartre est sur tous les fronts. Depuis le premier volume de Situations, on le sait curieux et perspicace ami des écrivains et des artistes:Albert Camus, Paul Nizan, André Masson, Merleau-Ponty, Andreï Tarkovsky... Le refus du prix Nobel de littérature et la tonalité polémique que Sartre lui donne viennent mettre le point final à ces pages consacrées aux lettres et aux arts. Ce qui, incontestablement, tient la première place, c'est le combat politique. La toile de fond en est le conflit algérien et, de manière plus générale, les conflits du Tiers Monde; y apparaissent de grotesques figures, d'autres que Sartre juge plus pernicieuses et dangereuses pour la démocratie et la République, d'autres enfin qui sont à ses yeux porteuses d'espérance ou véritablement héroïques. Dans ce combat politique, Sartre fait flèche de tout bois:le polémiste y excelle, le moraliste y cisèle ses aphorismes; la violence va jusqu'au cri, semble emporter l'écrivain au-delà de toute retenue.Mais il est enfin un autre Sartre plus humain, plus fraternel, celui qui part à la recherche de ses amis disparus, qui sont morts prématurément, absurdement, et à qui il faut rendre hommage ou justice:Camus, Nizan et Merleau-Ponty. Ces trois éloges funèbres sont également trois occasions de revenir sur soi, de comparer sa propre vie et celle de ceux qui ont disparu, de voir tout le chemin parcouru, tantôt avec eux tantôt sans eux ou contre eux, de jeter sur qui l'on fut un regard qui n'a nulle complaisance mais qui n'est pas sans tendresse.
Cet ouvrage dont la première édition date de 1952 constitue une magistrale introduction aux Oeuvres complètes de Jean Genet. Voici comment Jean-Paul Sartre avait présenté ce livre en 1952:«Montrer les limites de l'interprétation psychanalytique et de l'explication marxiste et que seule la liberté peut rendre compte d'une personne en sa totalité, faire voir cette liberté aux prises avec le destin d'abord écrasée par ses fatalités puis se retournant sur elles pour les diriger peu à peu, prouver que le génie n'est pas un don mais l'issue qu'on invente dans les cas désespérés, retrouver le choix qu'un écrivain fait de lui-même, de sa vie et du sens de l'univers jusque dans les caractères formels de son style et de sa composition, jusque dans la structure des images, et dans la particularité de ses goûts, retracer en détail l'histoire d'une libération:voilà ce que j'ai voulu; le lecteur dira si j'ai réussi.»
L'intervention du philosophe s'avcre, ici, distincte autant de celle du critique que de celle du psychologue (médecin ou non-médecin) comme du sociologue. Car il ne s'agira pour lui, ni de peser au trébuchet la poésie baudelairienne (portant sur elle un jugement de valeur ou s'appliquant ´r en offrir une clé), ni d'analyser, comme on ferait d'un phénomcne du monde physique, la personne du pocte des Fleurs du Mal. Tenter, bien au contraire, de revivre par l'intérieur au lieu de n'en considérer que les dehors (c'est-´r-dire : soi-meme l'examinant du dehors) ce que fut l'expérience de Baudelaire, prototype quasi légendaire du Tpocte mauditt...
Ce recueil obéit à un double principe : il rassemble les textes proprement philosophiques, répartis dans les divers volumes des situations, de 1939 à 1968, et il fait droit au talent le plus manifeste de sartre : celui d'essayiste qui mêle rhétorique de la persuasion, acuité critique et rigueur polémique.
Sartre traite de husserl, du langage, de la liberté chez descartes et du matérialisme ; il fait le portrait le plus extraordinaire qu'on ait brossé de merleau-ponty et de l'époque des années 1950 ; bien entendu, sa réflexion revient sans cesse sur la question de la nature et du rôle des " intellectuels " confrontés au déclin du stalinisme comme à la nécessité de prendre position face à la guerre du viêt-nam ou aux événements de mai 1968.
Ces situations philosophiques dessinent aussi les contours de l'existentialisme sartrien, en indiquent les sources (kierkegaard notamment) et les thèmes dominants : liberté, responsabilité, engagement.