"Deux grands yeux s'approchèrent de mon visage et soudain, je ressentis une douleur fulgurante, comme si deux grandes aiguilles espacées de quelques pouces seulement s'enfonçaient profondément dans ma poitrine. Je me réveillai en hurlant. La chambre était éclairée par la chandelle qui était restée allumée toute la nuit, et je vis une silhouette féminine au pied de mon lit, un peu sur la droite." L'action se passe dans un château de Styrie. L'héroïne, la jeune Laura, tombe sous le charme de la belle et mystérieuse Carmilla, dont l'arrivée énigmatique dans ce lieu isolé marque l'initiale d'une amitié tendre et exaltée.
De l'ouverture presque bucolique à la destruction du vampire que se révèle finalement être Carmilla, tout est là des ingrédients d'un roman gothique, classique du genre.
Mais ici, le vampire est une femme, et à la transgression vampirique s'ajoute celle de l'homosexualité féminine, dans un récit tout de séduction et de sensualité.
« Je n'ai jamais vu site plus original et plus beau que cette ravissante petite ville de Golden Friars. Elle se dresse sur le rivage de son lac, dominée par un amphithéâtre de montagnes toutes gercées de ravines et couleur de pourpre opulente. » Certes, tel et bien l'aspect que Golden Friars présente, au premier abord, au visiteur. Mais au bord du lac se dresse le sinistre château des Mardykes et le légende qui se rattache au lac n'est guère plus engageante. on raconte que la jeune et jolie, mais malheureuse, Mary Feltram y aurait été noyée, en même temps que son petit enfant et que, en certaines fins d'après-midi, des pêcheurs l'ont vue, dans le soleil couchant, élever son buste hors du lac, dressant son enfant à bout de bras au-dessus de sa tête. Aussi, lorsque le hobereau du village, sir Bale Marykes, ruiné, revient, bien à contrecoeur, habiter son château, il évite soigneusement de s'aventurer sur le lac. Car il craint la vengeance du fantôme de Mary dont un Mardykes semble avoir été le bourreau. Il faudra que Philp Feltram, le dernier descendant de Mary, lui fournisse la "chance" d'un étrange pacte par lequel redevenir riche, pour qu'il ose la traversée du lac maudit... Mais l'or, lui aussi , est maudit...
Richard Marston, aristocrate désargenté qui a passé la quarantaine, règne sur le domaine des Hêtres Gris qu'il n'a plus guère les moyens d'entretenir, entre sa femme qu'il délaisse, sa fille encore dans l'enfance... et la gouvernante française, Mlle de Barras, invitée à tenir compagnie aux deux « dames » du lieu.
Mlle de Barras a des manières, déploie mille attentions à l'endroit de la maîtresse de maison dont elle devient vite la confidente, mais sa venue aux Hêtres Gris semble donner le signal de quelques bouleversements inquiétants. Bientôt la vie monotone et apparemment austère du manoir est troublée par l'arrivée d'un nouvel invité? : Sir Wynston Berkley, célibataire coureur de jupons qui fut jadis le rival de Marston à l'occasion d'une amourette de jeunesse. Avec lui, une porte semble s'ouvrir sur un passé que les habitants de la place feignaient d'avoir oublié. Un passé qui a la vie dure, et qui poussera bientôt l'un des protagonistes au crime de sang...
Publié en 1863, un an avant Oncle Silas, La maison près du cimetière est tout à la fois un thriller, une romance, et un " divertissement " centré sur le Temps et le Langage. Roman sans héros, peuplé de personnages masculins et féminins qui s'entrecroisent sans relâche, on y trouve banquets et ripailles tout autant que chantages, enterrements clandestins à la lueur de la lune, et crânes exhumés... Tout ceci se déroule en 1767, à Chapelizod, petit village près de Dublin, et l'on y détecte sans doute plus encore que dans les autres oeuvres de Le Fanu son goût démesuré pour l'étrange et le surnaturel, mêlé au quotidien d'une Irlande de clergymen, notables, militaires, et traîne-la-faim...
Joyce relisait ce livre chaque fois qu'il souhaitait s'empêcher de dormir. Un roman noir tout ce qu'il y a de classique en apparence (Le Fanu fut dans ce registre le seul rival de Wilkie Collins), mais ficelé à l'irlandaise, c'est-à-dire sans marchander sur les ingrédients indispensables : le whiskey, la mort violente. et le surnaturel.
Quelques messieurs plus ou moins distingués aiment à se réunir le soir au club, dans une bourgade des environs de Dublin, pour dire tout le mal qu'ils souhaitent au monde et tout le bien qu'ils pensent d'eux-mêmes. jusqu'au jour où ils se retrouvent avec un joli crime sur les bras. Un thriller particulièrement retors qui se sert d'un fait-divers faussement banal pour nous rendre complices du pire ; en nous invitant à nous poser la seule question qui compte : « Comment tuer le temps ? » Que la bonne société victorienne en profite au passage pour se faire déculotter et fesser d'importance ne saurait nuire, on s'en doute, à notre plaisir. Mais Le Fanu a encore d'autres surprises dans son terrible sac - qu'il n'est bien sûr pas question de révéler ici.
Qu'un tel livre - nous voulons dire d'une si violente modernité - n'ait jamais été traduit en français à ce jour est à la fois consternant et rassurant : il nous reste encore (Elizabeth Bowen dixit) des chefs-d'oeuvre à découvrir !
Sur le manoir de Morley Court règne Richard Ashwood.
Tyron sadique, il n'hésite pas à spolier sa fille et des biens et à la promettre à un vieillard odieux. Quant à Henry, le fils, il ne vaut guère mieux... Jouisseur et joueur éffréné, il vend sa soeur pour rembourser ses dettes. De machinations sinistres en rebondissements inattendus, de tripots mal famés en salons aristocratiques, Le Fanu réunit dans le Dublin du XVIIIe siècle tous les ingrédients de la littérature populaire du complot.
Quand Charles de Cresseron revient après une vingtaine d'années d'absence chez son ami Mark Wylder, celui-ci est sur le point de se marier avec sa cousine, la belle et énigmatique Dorcas Brandon.
Pourquoi disparaît-il soudain ? Quel rôle a joué dans cette affaire le violent et cynique capitaine Stanley Lake, qui s'empresse d'ailleurs de lui voler sa fiancée ? Et la jeune soeur de ce dernier, la superbe Rachel, amie intime de Dorcas, quel lourd secret semble l'oppresser et l'accabler de remords ? Dans les bois et dans les corridors du manoir, un "fantôme" annonce que bientôt jaillira la vérité.
Rivalités amoureuses, duels et sombres histoires de spoliations s'enchaînent tout au long de ce thriller particulièrement noir. J.
Sheridan Le Fanu y mêle avec bonheur ironie et émotion, fantastique et suspense et nous livre une magistrale galerie de portraits de l'Angleterre rurale et victorienne d'une étonnante modernité.
LIVRE : Devenue une femme mûre, Ethel Ware, née en 1831, nous raconte sa
jeunesse, qui n'a été qu'une longue suite de malheurs. Ayant perdu
successivement, dans des conditions dramatiques, sa soeur et sa mère, mortes de
maladie, ainsi que son père, qui s'est suicidé après s'être fait spolier de
l'héritage qu'il espérait, elle est recueillie par un vieil aristocrate, mais
se retrouve en butte aux persécutions du neveu de celui-ci, Richard Marston, un
inquiétant séducteur qui ne songe qu'à profiter de sa candeur pour s'emparer de
l'argent du vieillard. Parviendra-t-elle à échapper à ce dangereux personnage
et à éviter de se laisser dépouiller à son tour ? Ecclésiastiques intrigants et
avides, faune corrompue des salons et des bals, côte sauvage où se produisent
d'horribles naufrages, manoirs solitaires perdus au fond de montagnes isolées :
tous les ingrédients du roman « gothique » se trouvent ici réunis pour créer
autour de l'innocente jeune fille une atmosphère d'angoisse et de terreur.
AUTEUR : Resté longtemps méconnu en France, Joseph Sheridan Le Fanu (1814-
1873), admiré d'Edgar Poe comme de James Joyce, apparaît aujourd'hui l'égal de
son contemporain William Wilkie Collins. L'auteur de Carmilla, d'Oncle Silas et
de La Maison près du cimetière, par son art consommé du suspense et son talent
à dénoncer l'hypocrisie de la bonne société, compte parmi les grands romanciers
populaires de l'époque victorienne.
Lady Margaret est une jeune fille orpheline de mère. À la mort de son père fortuné, elle est placée chez son oncle et tuteur, le sinistre sir Arthur Tyrrell, qui a une réputation de meurtrier. À son arrivée dans sa nouvelle demeure, retirée, elle se lie immédiatement d'amitié avec sa cousine Emily. En revanche, elle ne cessera de nourrir méfiance et répulsion à l'égard de son cousin Edward, individu détestable qui cherche à la contraindre au mariage. Elle soupçonne qu'on en veut à son héritage. On veut la tuer...
Comment ma cousine a été assassinée (1838) est la première nouvelle de Joseph Sheridan Le Fanu (1814-1873), écrivain irlandais des plus populaires à l'époque victorienne - avec Oncle Silas, Carmilla... Dans la tradition du roman gothique, l'auteur personnifie le diable sous les traits de l'oncle, persécuteur qui se cache sous le masque de la vertu. Il met en place un suspense, en passe de devenir un classique.
Si les romans de Joseph Sheridan Le Fanu (Irlandais, 1814-1873) sont tombés dans l'oubli, Uncle Silas, toujours réédité, n'a jamais cessé de répandre son charme maléfique. Ce portrait d'un être exceptionnel (dans le pire sens du terme), cette intrigue servie par une construction savante et méticuleuse font d'ailleurs dire à son éditeur américain, dans son introduction, combien il envie le lecteur qui aborde cette histoire pour la première fois. Paru en 1864, L'Oncle Silas peut sembler bien tardif par rapport au roman gothique (il vient un siècle après Le château d'Otrante, de Walpole, un demi-siècle après Melmoth de Maturin) ; il s'inscrit pourtant bel et bien dans son sillage. Le roman regorge d'éléments gothiques : grandes maisons sombres et mystérieuses, crime en vase clos, étrange testament, jeune demoiselle en détresse, mariage forcé et consanguin. Toutefois, s'il pactise avec le genre, il s'en détache par son originalité. Certes, il évite le principal ingrédient de base et se termine le plus rationnellement du monde sans que jamais la protagoniste ni le lecteur ne pensent à quelque intervention fantastique. L'héroïne doit combattre des humains non des spectres. Néanmoins le surnaturel apparaît par petites touches (dans le décor, dans la manière dont l'héroïne interprète certaines manifestations extérieures). L'Oncle Silas unit donc les deux pôles du roman gothique. Le roman doit aussi sa singularité à ses multiples allusions directes à la pensée de Swedenborg, ce mystique suédois pour qui notre terre n'est que le reflet du monde éternel. Le Fanu, lui-même swedenborgien, force le trait : il nous livre une histoire où il mélange avec un malin plaisir le monde des vivants, le Monde des Esprits et l'Enfer. L'héroïne, l'innocente Maud, appartient au premier mais paraît, dans toute l'intrigue, affronter deux créatures jaillies tout droit de l'Enfer conçu par Swedenborg, des êtres moitié hommes, moitié bêtes : Silas (au regard d'oiseau de proie, à l'apparence simiesque) et Mordante, l'inquiétante gouvernante française tantôt qualifiée de loup, de reptile hideux ou de goule : deux des nombreux personnages qui ne finiront pas de hanter le lecteur, une fois le livre refermé.
Une oeuvre majeure de la littérature fantastique du XIXe siècle, romantique et macabre, magnifiquement illustrée par la talentueuse et surprenante Isabella Mazzanti. Dans un décor étrange et familier, Laura, fille unique d'un gentilhomme anglais installé en Styrie, accueille sans méfiance Carmilla, une jeune inconnue... Mais très vite, dans la campagne environnante, dans le château et sur le corps même des deux jeunes filles, des indices vampiriques apparaissent et prolifèrent... Cette oeuvre est l'un des romans gothiques et vampiriques les plus célèbres du genre tant les atmosphères y sont puissantes et mystérieuses. L'effroi qui vous saisira à la lecture n'est pas celui de l'inconnu, tel qu'ont pu l'éprouver les contemporains de Sheridan Le Fanu, pour lesquels les vampires étaient une nouveauté presque exotique. Laura, candide à souhait, incarne la parfaite héroïne gothique. Carmilla, quant à elle, personnage énigmatique et dangereux, incarne la sensualité et présente l'homosexualité féminine sous un jour nouveau, sombre, venimeux et exalté. Fait non négligeable, Bram Stoker, compatriote de Joseph Sheridan Le Fanu, reconnaîtra plus tard la dette qu'il a envers celui-ci lors de la parution, en 1897, du roman qui allait immortaliser son nom, Dracula.