Laurent Sagalovitsch
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À Tel-Aviv, un homme apprend par courrier le suicide de sa grand-mère, Vera Kaplan, dont il ignorait l'existence. La lettre, venue d'Allemagne, est accompagnée de l'ultime témoignage de la défunte et d'un terrifiant manuscrit : son journal de guerre, celui d'une jeune Juive berlinoise qui, d'abord pour sauver ses parents puis simplement pour rester en vie, en est venue à commettre l'impensable - dénoncer d'autres Juifs, par centaines.
Dans un récit sans complaisance, librement inspiré du destin véritable de Stella Goldschlag, Laurent Sagalovitsch dresse le portrait d'une victime monstrueuse dévorée par une pulsion de vie inhumaine. -
Fuyant sa dévorante sainte famille, mettant un maximum de distance entre lui et la France - cette terre de persécution antisémite -, l'hypocondriaque Saga-lovitsch, juif parisien, emporte dans ses bagages, outre son Témesta, sa nostalgie de la grande équipe stéphanoise des Verts, sa méfiance à l'égard des goys, son sens aigu de l'inadaptation et une jubila-toire mauvaise foi. A peine débarqué au Canada, il s'acoquine avec une beauté hollandaise (optimiste, décontractée, vorace fumeuse de cannabis) et découvre avec elle les charmes libertaires mais hygiénistes de la vie à Vancouver.
Brassant toutes les données d'un mal de vivre personnel ou atavique, Sagalovitsch, héros du dernier roman de Sagalovitsch, joue de sa judéité comme d'un alibi autant que d'une raison profonde à un désarroi existentiel si manifeste que... mieux vaut en rire.
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Ils sont deux à raconter leurs derniers jours auprès de Virginia, romancière de son état, artiste reconnue mais hélas découragée de vivre. Deux témoins qui la voient s'engloutir tandis que les bombes allemandes s'abattent sans relâche et que la pluie tombe obstinément sur cette campagne anglaise, en mars 1941 : Leonard, le mari, qui a retrouvé, au bord de la rivière, la canne de Virginia plantée dans la boue ; et Louie, la domestique, qui rumine son veuvage et confie ses peines à une bouteille de cognac. D'autres voix se mêlent à leurs vains soliloques : fragments du journal de Virginia, comptes rendus de visites du médecin. Plus lointain, plus irréel encore : le murmure de l'Ouse...
Impressionniste et fiévreux, ce roman est écrit dans la langue de l'émotion, face à l'insoutenable désespoir de Virginia Woolf, à l'incompréhensible silence de Dieu dans l'apocalypse.
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Pour relater ce qui s'est passé à Dade City, imaginaire bourgade assoupie près d'un lac aux eaux miroitantes, l'auteur cède la parole aux protagonistes des «événements». Presque à brûle-pourpoint, ils racontent ce qu'ils croient savoir. Or c'est là qu'est le piège. Tel un mécanisme inexorable, le malentendu est en marche. La passion coupable de Gary Manckiewicz pour la femme du médecin Jacob Kaufman a peut-être conduit ce dernier à se venger.
Contre lui, son propre fils fait une déposition accablante. Dans une pathétique exigence d'expiation, la communauté condamne un des siens. Un homme, au moins, pourrait ramener la raison. Mais pour ce témoin à décharge, qui jadis réchappa aux camps de la mort, la vérité est bien au-delà d'un drame de la jalousie. Sans preuve ni effusion de sang, Dade City nous précipite dans ce qui paraît d'abord une affaire criminelle.
Et soudain cette illusion se dissipe. Si sincères qu'ils soient, les récits des différents personnages ont dénaturé la réalité. Dans l'héritage profondément juif de la petite communauté, ils font résonner un atavisme de la «faute». Plus qu'une version particulièrement perverse du meurtre du père, le roman de Laurent Sagalovitsch se lit dès lors comme une réflexion sur la malédiction d'un peuple, sa confrontation à la culpabilité et plus largement à la falsification de son histoire.