Littérature
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« Ma Rion, je ne t'ai pas donné de nouvelles parce que ça n'allait pas. Je suis à l'hôpital et je n'en ai plus que pour genre une semaine. » Marion Ruggieri reçoit ce texto, un soir de printemps. La romancière Emmanuèle Bernheim se meurt et prend rendez-vous avec les vivants. Dernière visite à l'hôpital. Dans le couloir, elle croise le compagnon d'Emmanuèle, sa famille, ses amis : un cinéaste très proche ; un couple d'architectes c'est un ballet furtif, inquiet et troublé. Parfois étrangement joyeux, enlevé.
Marion Ruggieri entre dans la chambre : ce sera son ultime rencontre avec Emmanuèle, qui met ses affaires en ordre, gracile et déterminée. La romancière, comme une reine, donne à voir la vie aux vivants.
Ce sera aussi, pour l'auteur, l'entrée dans un âge nouveau, celui où l'on perd les siens, où les fils de l'enfance et du temps se resserrent, doucement cruels. D'une randonnée à Sils Maria à l'impossible adieu, d'une rencontre avec Scorsese au regard de son petit garçon, Marion Ruggieri nous livre un récit intime et puissant.
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« Mon père appartient à cette génération qui, sous prétexte qu´elle est née après guerre et en plein progrès, a décidé que son combat d´une vie serait de ne pas mourir. De ne pas mourir, donc de ne pas vieillir. D´arrêter le temps. Au début, je croyais qu´il était le seul atteint. Et puis j´ai vu d´autres spécimens, je les ai parfois côtoyés : les faux jeunes. Au début je croyais que le syndrome ne touchait que les hommes de son âge, les éternels « baby-boomers », puis je me suis aperçue que la génération suivante était pire. Déjà faux jeune à quarante ans. Voilà le problème. Les gens ne veulent plus mourir. Alors ils volent la vie de leurs enfants. Ce sont des ogres » L´ogre est ici un père si juvénile et séduisant qu´il courtise de préférence des filles plus jeunes que la sienne. Il lui présente des nymphettes renouvelables à talons compensés, quand Marion alias « big » (son surnom !) pratique volontiers l´amant quinquagénaire cabossé par la vie. Au-delà du sujet de société - les pères et leurs filles, l´homme occidental en proie à l´obsession du jeunisme - Marion Ruggieri, tout en se moquant d´elle-même en adolescente à perpétuité, a réussi un roman qui tient du prodige : faire rire de nos travers virils et faire pleurer d´une si attachante liaison avec son géniteur. Comment grandir quand son père reste à jamais l´impossible M. Bébé ? A la fois pudique et réaliste, tendre et cruel, autobiographique mais universel, ce premier roman sur la confusion des âges devrait connaître un grand succès auprès de tous les publics. Car hélas ! nous sommes tous concernés par cette phrase : « Le problème avec les parents d´aujourd´hui, c´est qu´ils ne meurent jamais. Ou qu´on les aime trop. »
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Une vie heureuse
Ginette Kolinka, Marion Ruggieri
- Grasset et fasquelle
- Essais Grasset
- 25 Janvier 2023
- 9782246832386
Ginette Kolinka, qui va fêter ses 98 ans, habite le même appartement depuis qu'elle a dix ans.
Elle a toujours vécu là, rue Jean-Pierre Timbaud, au coeur de Paris, à l'exception de trois ans : de 1942 à 1945.
Cet appartement, c'est sa vie qui défile devant nos yeux. Il y a les portraits de ceux qui ne sont pas revenus de Birkenau : son père, son petit frère, son neveu.
Les disques d'or de son fils unique, Richard, batteur du groupe Téléphone.
Les photos de ses cinq soeurs, Ginette est la cadette, des petits-enfants, des arrière-petits-enfants.
Les dessins des écoliers, à qui elle raconte désormais son histoire, tous les jours, aux quatre coins de la France.
Et même les meubles qu'ont laissés les « collabos ».
Ginette nous fait la visite.
On traverse le temps : l'atelier de confection de son père, la guerre, ce mari adorable et blagueur. Les marchés, qui l'ont sauvée. Et les camps qui affleurent à chaque page, à chaque pas.
Mais Ginette, c'est la vie ! Le grand présent. « On me demande pourquoi je souris tout le temps, mais parce que j'ai tout pour être heureuse ! » -
Moi-même je le raconte, je le vois, et je me dis c'est pas possible d'avoir survécu...
Arrêtée par la Gestapo en mars 1944 à Avignon avec son père, son petit-frère de douze ans et son neveu, Ginette Kolinka est déportée à Auschwitz-Birkenau : elle sera seule à en revenir, après avoir été transférée à Bergen-Belsen, Raguhn et Theresienstadt. Dans ce convoi du printemps 1944 se trouvaient deux jeunes filles dont elle devint amie, plus tard : Simone Veil et Marceline Rosenberg, pas encore Loridan - Ivens.
Aujourd'hui, à son tour, Ginette Kolinka raconte ce qu'elle a vu et connu dans les camps d'extermination. Ce à quoi elle a survécu. Les coups, la faim, le froid. La haine. Les mots. Le corps et la nudité. Les toilettes de ciment et de terre battue. La cruauté. Parfois, la fraternité. La robe que lui offrit Simone et qui la sauva. Que tous, nous sachions, non pas tout de ce qui fut à Birkenau, mais assez pour ne jamais oublier ; pour ne pas cesser d'y croire, même si Ginette Kolinka, à presque 94 ans, raconte en fermant les yeux et se demande encore et encore comment elle a pu survivre à ça...