L'idée d'une création ex nihilo, envisagée à titre de supposition par la pensée grecque, a été aussitôt rejetée comme pure absurdité. Cette condamnation, explicitement soutenue dès Parménide, vise-t-elle le grand mythe cosmogonique de référence qui, chez Hésiode, fait « naître » en premier Chaos ? Brise-t-elle une réception du monde entre un muthos et un logos ?
Cet essai veut démontrer qu'il n'en est rien, à condition de bien entendre le mythe qui n'enregistre pas une naissance ponctuelle à partir du néant, mais décrit un processus toujours reproduit : le retrait incessant de l'infigurable (seule définition possible de Chaos) pour laisser advenir ce qui n'est pas lui, à savoir un monde en train de se configurer... sans cesse. Alors que le muthos traque « ce sans quoi » les choses peuvent apparaître, le logos définit « ce d'où » elles adviennent et retournent.
Les Anciens ont tracé deux itinéraires : celui qui débouche sur l'inhérence de « ce d'où » les choses proviennent et celui qui mène au dévoilement de « ce sans quoi » elles poussent. Le fameux antagonisme muthos-logos est à reconsidérer... à l'aune de l'éternité et de son étonnante condition originelle : l'infigurable Chaos dont l'incessant retrait offre au monde la condition de son discernement.
L'ouvrage invite à suivre ces cheminements parallèles d'une pensée qui se réfléchit dans son refus du néant.
Si les Grecs eurent une seule sagesse, ce fut celle de ne rien entendre aux sirènes du prosélytisme. C'est la grandeur de ce qui sera plus tard appelé, sans trop le comprendre, « paganisme ».
Les Grecs ont toujours une leçon d'actualité à transmettre.
Le message fut donné à une humanité qui s'effrayait de sa condition : l'inconnaissance. La logique du syllogisme commence alors à fonctionner :
Pour qu'il y ait inconnaissance, il faut des maîtres pour ne pas divulguer un enseignement. Et si ces maîtres sont des dieux alors la boucle se contracte en une sorte de croyance.
Ce dictionnaire propose un dépassement du cadre « religion grecque » pour s'ouvrir sur les notions que les Hellènes ont échafaudées dans leur relation incertaine au sacré. En s'intéressant au « paganisme », il prend autant acte de l'absence du mot « religion » dans le vocabulaire grec classique que de la seule certitude des Grecs : l'inconnaissance des mortels.
Le paganisme grec est au croisement de deux attitudes complémentaires : l'une mentale, l'autre gestuelle. Les Anciens avaient la certitude d'être plongés dans l'inconnaissance du sacré : pas de Révélation, pas de credo (selon nos critères monothéistes). Et pourtant, les dieux semblent être une évidence pour eux. Alors, ils ménageront leur inconnaissance en une double administration solidement fermée : celle du sacré absolument inséparable de celle de la cité.
Chaque article de ce dictionnaire, préfacé par Jean-François Mattéi, ouvre sur la double question de savoir en quel sens on peut parler d'une religion grecque et comment nos anciens Hellènes eurent ce que nous appelons des croyances.Docteur en philosophie (Paris IV-Sorbonne), conseiller scientifique des volumes III et IV de l'Encyclopédie philosophique universelle, Reynal Sorel est l'auteur d'ouvrages sur la pensée grecque dont, aux Belles Lettres, Chaos et éternité. Mythologie et philosophie grecques de l'Origine (2006).