Dans les pays démocratiques, la légitimité est contestée à tout instant, transformant une démocratie fondée sur la confiance accordée pour une durée pré-déterminée en une démocratie d'opinion scandée par des sondages quotidiens sur tout et n'importe quoi.
La démocratie est un livre ouvert dont toutes les pages ne sont pas écrites. Les démocraties se sont inventées, modifiées, adaptées et on est loin d'avoir épuisé les ressources de l'imagination et de l'expérimentation. S'il y a une révolution à faire, c'est bien là.
Imparfaite par essence, la démocratie suscite critiques et désillusions. Cet état de crise, de remise en cause, permanente est son talon d'Achille, et aussi sa grandeur. Aujourd'hui, rien ne semble pouvoir endiguer la vague populiste qui déferle sur le monde. Partout, l'idéal de liberté, d'égalité et de fraternité recule, tandis que les peuples cèdent à la tentation de l'homme fort.
Sommes-nous pour autant à la veille d'un effondrement démocratique ? Au regard des changements économiques et politiques en cours dans des pays comme l'Italie, les États-Unis, le Royaume Uni et la France, l'auteur fait plutôt le pari que les démocraties sauront se réinventer. Comme elles ont toujours su le faire depuis deux siècles, en incorporant des éléments exogènes tels que l'État de droit, le libéralisme politique ou l'État providence.
La Ve République est une sexagénaire qui se porte bien...
Cette longévité relative témoigne de l'ancrage d'institutions pourtant décriées et critiquées par de multiples voix. C'est qu'en dépit de carences et de défauts souvent éclatants, la Ve République cumule deux qualités : elle combine et mêle des héritages politiques et constitutionnels divers, fruit de deux siècles d'expériences et de tâtonnements ; elle témoigne en outre d'une exceptionnelle flexibilité et capacité d'ajustement aux événements. C'est cette « constitution vivante » dont les mérites et les tares sont analysés de manière synthétique qui est présentée ici en tenant compte des innovations, adaptations et changements les plus récents.
Il n'est guère de thème de la politique moderne qui n'ait été discuté, vécu et affronté par le premier système démocratique inventé dans une cité de taille modeste aux IVe et Ve siècles avant notre ère. Trois mille ans après l'émergence de cette prodigieuse utopie, la grammaire du bon gouvernement est celle qu'ont utilisée Solon ou Clisthène, Périclès, Platon, Aristote ou Plutarque. Les Grecs ont créé et imaginé les concepts pour lesquels nous combattons encore aujourd'hui : participation, délibération, égalité devant la loi, assemblée, démocratie directe, contrôle démocratique, citoyenneté, autochtonie, etc. L'héritage grec est plus moderne que jamais à un moment où les formes contemporaines de la démocratie sont en crise et alors que des mouvements radicaux américains réclament la suppression des études classiques. Les mythes, la philosophie, les institutions grecques peuvent encore nous apprendre beaucoup, même sur Donald Trump, les Gilets jaunes ou le déficit démocratique de l'Union européenne.
La vie, la mort, le sexe : ces trois thèmes n'ont cessé de hanter l'homme, cet étrange animal pensant. Peu de civilisations anciennes cependant ont développé, comme l'ont fait les Grecs 500 ans avant notre ère, des réflexions et des pratiques sociales aussi voisines des nôtres encore aujourd'hui. Ils ont été plus loin que quiconque dans l'élaboration d'une pensée qui s'interroge sur la place et le rôle de l'homme au sein de l'univers. Certes, les dieux sont omniprésents. Mais ce sont des humains divinisés qui ne différent guère des mortels que par leur privilège de l'immortalité. Les Grecs ont anticipé comme personne nos questionnements, nos angoisses, nos passions, nos interrogations, nos rapports avec la vie, la nature, le temps, l'amour, la mort. Nous divergeons parfois, nous convergeons souvent, mais le plus fascinant est le dialogue qui ne cesse de s'établir avec eux depuis 2500 ans.
Qu'est-ce que la corruption, sinon un échange plus ou moins clandestin qui permet d'obtenir des avantages que l'application des règles en vigueur n'aurait pas permis d'avoir? Elle procure des passe-droits grâce aux faveurs accodées par le bénéficiaire de l'avantage.
La corruption, en France, opère dans un climat qui lui est fortement favorable. Dans un univers de règles générales et impersonnelles, une grande partie des énergies des citoyens et des médiateurs que sont les élus politiques est consacrée à obtenir de l'Administration des exceptions, des arrangements. Pour éviter que la machine bureaucratique ne se bloque, il faut multiplier dérogations et exceptions. Le pantouflage de hauts fonctionnaires _ qui n'est pas d'hier mais prend de nos jours une ampleur inquiétante _ et le cumul des mandats _ une pratique systématique devenue une seconde nature _ n'ouvrent pas seulement la porte aux abus, mais encore constituent une tentation structurelle permanente. Sans que ces habitudes constituent généralement des affaires où les individus seraient moralement coupables, elles créent en tout cas la conviction que toute règle est négociable et traduisent l'ignorance du conflit d'intérêt.
Un autre facteur est également propice à l'indulgence, voire à la complaisance dont bénéfice la corruption: le cynisme avec lequel les Français considèrent le pouvoir, qu'il soit politique ou administratif. Au discours des élites, pour qui la corruption est marginale _ ou alors se justifie au nom du moindre mal _ s'oppose le sentiment populaire, selon lequel la corruption est si générale que tous les détenteurs de pouvoir sont plus ou moins compromis. Pourtant, cette opinion pessimiste ne débouche pas sur une mobilisation, mais plutôt sur une attitude passive et désabusée. Les Français sont en quelque sorte mithridatisés par des pratiques dans lesquelles le passe-droit politique ou amical prépare la voie à la corruption pure et simple...
Toutefois, l'ampleur prise à tous les niveaux de l'Etat par la corruption rampante suscite aujourd'hui une réaction de rejet dangereuse pour la classe politique, et périlleuse pour la démocratie elle-même. Plus que d'une réforme de l'Etat, la France a besoin de changer ses moeurs politiques.
Yves Mény est professeur de science politique à l'Institut d'études politiques de Paris.
Les partis, les groupes, la démocratie : ces thèmes centraux de la science politique sont aussi et d'abord au coeur de la conception de la Cité. Il n'est donc pas étonnant que Georges Lavau ait organisé ses recherches autour des problèmes qui lui paraissaient cruciaux aussi bien pour l'universitaire que pour le citoyen engagé. Cet ouvrage, qui rassemble les contributions de trente politistes français ou étrangers, s'inscrit dans cette perspective et s'interroge sur les mutations au sein des systèmes politiques. Il analyse en particulier les changements idéologiques, l'adaptation des mythes et l'évolution des principes qui fondent la démocratie mais aussi les transformations structurelles qui affectent les partis, les groupes sociaux et leurs relations avec le pouvoir.
Actes du colloque de l'Association française de science politique, 23-24 mars 1994.