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Éditions de Minuit
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" quand, dans la société primitive, l'économie se laisse repérer comme champ autonome et défini, quand l'activité de production devient travail aliéné, comptabilisé et imposé par ceux qui vont jouir des fruits de ce travail, c'est que la société n'est plus primitive, c'est qu'elle est devenue une société divisée en dominants et dominés, en maîtres et sujets, c'est qu'elle a cessé d'exorciser ce qui est destiné à la tuer : le pouvoir et le respect du pouvoir.
La division majeure de la société, celle qui fonde toutes les autres, y compris sans doute la division du travail, c'est la nouvelle disposition verticale entre la base et le sommet, c'est la grande coupure politique entre détenteurs de la force, qu'elle soit guerrière ou religieuse, et assujettis à cette force. la relation politique de pouvoir précède et fonde la relation économique d'exploitation.
Avant d'être économique, l'aliénation est politique, le pouvoir est avant le travail, l'économique est une dérive du politique, l'émergence de l'etat détermine l'apparition des classes. "
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Capitalisme et schizophrénie Tome 2 ; mille plateaux
Gilles Deleuze, Félix Guattari
- Éditions de Minuit
- Critique
- 1 Octobre 1980
- 9782707303073
L'espace lisse, ou nomos : sa différence avec l'espace strié.
- ce qui remplit l'espace lisse : le corps, sa différence avec l'organisme.
- ce qui se distribue dans cet espace : rhizome, meutes et multiplicités. - ce qui se passe : les devenirs et les intensités. - les coordonnées tracées : territoires, terre et déterritorialisations, cosmos.
- les signes correspondants, le langage et la musique (les ritournelles). - agencement des espaces-temps : machine de guerre et appareil d'etat.
Chaque thème est censé constituer un " plateau ", c'est-à-dire une région continue d'intensités.
Le raccordement des régions se fait à la fois de proche en proche et à distance, suivant les lignes de rhizome, qui concernent les éléments de l'art, de la science et de la politique.
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Capitalisme et schizophrénie Tome 1 ; l'anti-Oedipe
Gilles Deleuze
- Éditions de Minuit
- Critique
- 1 Mars 1972
- 9782707300676
Qu'est-ce que l'inconscient ? Ce n'est pas un théâtre, mais une usine, un lieu et un agent de production. Machines désirantes : l'inconscient n'est ni figuratif ni structural, mais machinique. - Qu'est-ce que le délire ? C'est l'investissement inconscient d'un champ social historique. On délire les races, les continents, les cultures. La schizo-analyse est à la fois l'analyse des machines désirantes et des investissements sociaux qu'elles opèrent. - Qu'est-ce qu'oedipe ? L'histoire d'une longue -erreur -, qui bloque les forces productives de l'inconscient, les fait jouer sur un théâtre d'ombres où se perd la puissance révolutionnaire du désir, les emprisonne dans le système de la famille.
Le " familialisme " fut le rêve de la psychiatrie ; la psychanalyse l'accomplit, et les formes modernes de la psychanalyse et de la psychiatrie n'arrivent pas à s'en débarrasser. Tout un détournement de l'inconscient, qui nous empêche à la fois de comprendre et de libérer le processus de la schizophrénie.
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Cinéma Tome 1 : l'image-mouvement
Gilles Deleuze
- Éditions de Minuit
- Critique
- 1 Octobre 1983
- 9782707306593
Cette étude n'est pas une histoire du cinéma, mais un essai de classification des images et des signes tels qu'ils apparaissent au cinéma. On considère ici un premier type d'image, l'image-mouvement, avec ses variétés principales, image-perception, image-affection, image-action, et les signes (non linguistiques) qui les caractérisent. Tantôt la lumière entre en lutte avec les ténèbres, tantôt elle développe son rapport avec le blanc. Les qualités et les puissances tantôt s'expriment sur des visages, tantôt s'exposent dans des " espaces quelconques ", tantôt révèlent des mondes originaires, tantôt s'actualisent dans des milieux supposés réels. Les grands auteurs de cinéma inventent et composent des images et des signes, chacun à sa manière. Ils ne sont pas seulement confrontables à des peintres, des architectes, des musiciens mais à des penseurs. Il ne suffit pas de se plaindre ou de se féliciter de l'invasion de la pensée par l'audio-visuel ; il faut montrer comment la pensée opère avec les signes optiques et sonores de l'image-mouvement, et aussi d'une image-temps plus profonde, pour produire parfois de grandes oeuvres.
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« La joie est, par définition, illogique et irrationnelle. La langue courante en dit là-dessus plus long qu'on ne pense lorsqu'elle parle de «joie folle» ou déclare de quelqu'un qu'il est « fou de joie ». Il n'est effectivement de joie que folle ; tout homme joyeux est à sa manière un déraisonnant.
Mais c'est justement en cela que la joie constitue la force majeure, la seule disposition d'esprit capable de concilier l'exercice de la vie avec la connaissance de la vérité. Car la vérité penche du côté de l'insignifiance et de la mort, comme l'enseignait Nietzsche et l'enseigne aujourd'hui Cioran. En l'absence de toute raison crédible de vivre il n'y a que la joie qui tienne, précisément parce que celle-ci se passe de toute raison.
Face à l'irrationalisme de la joie, toute forme d'optimisme raisonné n'oppose que des forces débiles et dérisoires, qu'« un misérable espoir emporté par le vent » pour reprendre les termes de Lucrèce. Fût-il le plus parfait et le plus juste, il laisserait encore tout, ou presque, à désirer. En ces temps de prédictions volontiers catastrophiques, on se garde pourtant d'envisager la pire des hypothèses, - je veux dire celle d'un monde devenu, contre toute attente, absolument satisfaisant. Car ce serait là un monde dont personne au fond ne veut ni n'a jamais voulu : on pressent trop qu'aucun des problèmes qui font le principal souci de l'homme n'y trouverait de solution. C'est pourquoi ceux qui travaillent sans relâche à son avènement n'attendent en fait de leur labeur qu'un oubli momentané de leur peine, et rien de plus. Et on peut parier qu'ils montreraient moins d'ardeur à la tâche s'ils n'étaient soutenus par la conviction secrète que celle-ci n'a aucune chance d'aboutir. » Clément Rosset
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Comment l'image-temps surgit-elle ? sans doute avec la mutation du cinéma, après la guerre, quand les situations sensori-motrices font place à des situations optiques et sonores pures (néo-réalisme).
Mais la mutation était préparée depuis longtemps, sous des modes très divers (ozu, mais aussi mankiewic, ou même la comédie musicale). l'image-temps ne supprime pas l'image-mouvement, elle renverse le rapport de subordination au lieu que le temps soit le nombre ou la mesure du mouvement, c'est-à-dire une représentation indirecte, le mouvement n'est plus que la conséquence d'une présentation directe du temps : par là même, un faux mouvement, un faux raccord.
Le faux raccord est un exemple de " coupure irrationnelle ". et, tandis que le cinéma du mouvement opère des enchaînements d'images par coupures rationnelles, le cinéma du temps procède à des ré-enchaînements sur coupure irrationnelle (notamment entre l'image sonore et l'image visuelle).
C'est une erreur de dire que l'image cinématographique est forcément au présent. l'image-temps directe n'est pas au présent, pas plus qu'elle n'est souvenir.
Elle rompt avec la succession empirique et avec la mémoire psychologique, pour s'élever à un ordre ou une série du temps (welles, resnais, godard...). ces signes de temps sont inséparables de signes de pensée et de signes de parole. mais comment la pensée se présente-t-elle au cinéma et quels sont les actes de parole spécifiquement cinématographiques ?
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Le pli leibniz et le baroque
Gilles Deleuze
- Éditions de Minuit
- Critique
- 1 Septembre 1988
- 9782707311825
Le pli a toujours existé dans les arts, mais le propre du baroque est de porter le pli à l'infini.
Si la philosophie de leibniz est baroque par excellence, c'est parce que tout se plie, se déplie, se replie. sa thèse la plus célèbre est celle de l'âme comme " monade " sans porte ni fenêtre, qui tire d'un sombre fond toutes ses perceptions claires : elle ne peut se confondre que par analogie avec l'intérieur d'une chapelle baroque, de marbre noir, où la lumière n'arrive que par des ouvertures imperceptibles à l'observateur du dedans : aussi l'âme est-elle pleine de plis obscurs.
Pour découvrir un néo-baroque moderne, il suffit de suivre l'histoire du pli infini dans tous les arts : " pli selon pli " avec la poésie de mallarmé et le roman de proust, mais aussi l'oeuvre de michaux, la musique de boulez, la peinture de hantaï.
Et ce néoleibnizianisme n'a cessé d'inspirer la philosophie.
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A travers des séries de paradoxes antiques et modernes, ce livre cherche à déterminer le statut du sens et du non-sens, et d'abord leur lieu.
Où se passe exactement ce qu'on appelle un " événement " ? la profondeur, la hauteur et la surface entrent dans des rapports complexes constitutifs de la vie. les stoïciens furent un nouveau type de philosophes. lewis carroll fut un nouveau type d'écrivain, parce qu'il partait à la conquête des surfaces. il se peut que cette conquête soit le plus grand effort de la vie psychique, dans la sexualité comme dans la pensée.
Et que, dans le sens et le non-sens, " le plus profond c'est la peau ".
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La condition postmoderne : rapport sur le savoir
Jean-françois Lyotard
- Éditions de Minuit
- Critique
- 1 Septembre 1979
- 9782707302762
Contribution à la discussion internationale sur la question de la légitimité : qu'est-ce qui permet aujourd'hui de dire qu'une loi est juste, un énoncé vrai ? Il y a eu les grands récits, l'émancipation du citoyen, la réalisation de l'Esprit, la société sans classes. L'âge moderne y recourait pour légitimer ou critiquer ses savoirs et ses actes. L'homme postmoderne n'y croit plus. Les décideurs lui offrent pour perspective l'accroissement de la puissance et la pacification par la transparence communicationnelle. Mais il sait que le savoir quand à devient marchandise informationnelle est une source de profits et un moyen de décider et de contrôler. Où réside la légitimité, après les récits ? Dans la meilleure opérativité du système ? C'est un critère technologique, il ne permet pas de juger du vrai et du juste. Dans le consensus ? Mais l'invention se fait dans le dissentiment. Pourquoi pas dans ce dernier ? La société qui vient relève moins d'une anthropologie newtonienne (comme le structuralisme ou la théorie des systèmes) et plus d'une pragmatique des particules langagières. Le savoir postmoderne n'est pas seulement l'instrument des pouvoirs : il raffine notre sensibilité aux différences et renforce notre capacité de supporter l'incommensurable. Lui-même ne trouve pas sa raison dans l'homologie des experts, mais dans la paralogie des inventeurs. Et maintenant : une légitimation du lien social, une société juste, est-elle praticable selon un paradoxe analogue ? En quoi consiste celui-ci ?
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Ce que nous voyons, ce qui nous regarde
Georges Didi-Huberman
- Éditions de Minuit
- Critique
- 23 Février 1999
- 9782707314291
Ce que nous voyons ne vaut - ne vit - que par ce qui nous regarde. Si cela est vrai, comment penser les conditions esthétiques, épistémiques, voire éthiques, d'une telle proposition ? C'est ce que tente de développer ce livre, tissé comme une fable philosophique de l'expérience visuelle. Nous y trouvons deux figures emblématiques, opposées dans un perpétuel dilemme. D'un côté, l'homme de la vision croyante, celui qui fait sienne, peu ou prou, la parole de l'évangéliste devant le tombeau vide du Christ : " Il vit, et il crut ". D'un autre côté, l'homme de la vision tautologique, qui prétend assurer son regard dans une certitude close, apparemment sans faille et confinant au cynisme : " Ce que vous voyez, c'est ce que vous voyez ", comme disait le peintre Frank Stella dans les années soixante, pour justifier une attitude esthétique qualifiée de " minimaliste ". Mais ce dilemme - constamment entretenu dans nos façons usuelles d'envisager le monde visible en général, et celui des oeuvres d'art en particulier - est un mauvais dilemme. Il demande à être dépassé, il demande à être dialectisé. Comment, alors, regarder sans croire ? Et comment regarder au fond sans prétendre nous en tenir aux certitudes de ce que nous voyons ? Entre deux paraboles littéraires empruntées à Joyce et à Kafka, c'est devant la plus simple image qu'une sculpture puisse offrir que la réponse à ces questions tente de s'élaborer. Un cube, un grand cube noir du sculpteur Tony Smith, révèle peu à peu son pouvoir de fascination, son inquiétante étrangeté, son intensité. Le regarder, c'est repenser le rapport de la forme et de la présence, de l'abstraction géométrique et de l'anthropomorphisme. C'est mieux comprendre la dialectique du volume et du vide, et la distance paradoxale devant laquelle il nous tient en respect. Mais il aura fallu, pour l'appréhender, établir une notion plus fine de l'" image dialectique ", revisiter celle d'aura - prise à Walter Benjamin -, et mieux comprendre pourquoi ce que nous voyons devant nous regarde toujours dedans. L'enjeu de tout cela : une anthropologie de la forme, une métapsychologie de l'image.
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Kafka ; pour une litterature mineure
Gilles Deleuze, Félix Guattari
- Éditions de Minuit
- Critique
- 1 Avril 1975
- 9782707300584
Force de kafka.
Politique de kafka. déjà les lettres d'amour sont une politique où kafka se vit lui-même comme un vampire. les nouvelles ou les récits tracent des devenirs-animaux qui sont autant de lignes de fuite actives. les romans, illimités plutôt qu'inachevés, opèrent un démontage des grandes machines sociales présentes et a venir.
Au moment même où il les brandit, et s'en sert comme d'un paravent, kafka ne croit guère à la loi, à la culpabilité, à l'angoisse.
à l'intériorité. ni aux symboles, aux métaphores ou aux allégories. il ne croit qu'à des architectures et à des agencements dessinés par toutes les formes de désir. ses lignes de fuite ne sont jamais un refuge, une sortie hors du monde. c'est au contraire un moyen de détecter ce qui se prépare, et de devancer les "puissances diaboliques" du proche avenir. kafka aime à se définir linguistiquement. politiquement, collectivement, dans les termes d'une littérature dite "mineure".
Mais la littérature mineure est l'élément de toute révolution dans les grandes littératures.
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Revue Critique n.936 : Dominique Fourcade, un poète devant l'actualité
Revue Critique
- Éditions de Minuit
- Revue Critique
- 8 Mai 2025
- 9782707356581
Dominique Fourcade - qui, né en 1938, est devenu l'un de nos plus grands poètes - ose exposer la poésie à l'actualité la plus violente.
Ébloui par le surgissement toujours possible de la beauté, mais ne se sentant jamais quitte, il est revenu ces dernières années sur les atrocités de la torture en Algérie, avant d'écrire sur la destruction de Gaza et l'invasion de l'Ukraine.
Critique a voulu honorer l'intensité peu commune de cette oeuvre et la singularité de son engagement. Les textes de Dominique Fourcade, traversés par les violences du temps, offrent un entrelacs de terreurs et d'espérances ; ils révèlent un écrivain capable, selon le voeu de Baudelaire, « d'étudier le crime dans son propre coeur ».
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Revue Critique n.934 : In vino veritas ?
Revue Critique
- Éditions de Minuit
- Revue Critique
- 6 Mars 2025
- 9782707356499
Si les philosophes ont parfois fait place à l'ivresse, c'était surtout pour la modérer. Derrière la « dive bouteille » chantée par Rabelais, l'ivrognerie menaçait et effrayait le sage qui prônait un boire bien tempéré. Mais ce discours sur les élixirs propres à susciter le génie comme la mélancolie, ne forme pas encore une « philosophe du vin » : il en offre seulement les linéaments.
Qu'est-ce que boire - et spécifiquement du vin ? Des philosophes, aujourd'hui, plaident pour une connaissance claire et distincte de ce que nous buvons et ils nous invitent à chercher comment la vérité passe de la coupe aux lèvres. Car est-ce vraiment dans la coupe qu'elle se cache ? N'est-ce pas plutôt l'acte de boire qui nous éveille à la vérité et fait naître en nous le désir de la découvrir ? De la « dégustation » instruite et maîtrisée à cette soif de vérité impossible à étancher, il n'y a qu'un pas, mais de géant - Pantagruel ou Gargantua. Et face à la philosophie du vin plaidant pour une tempérance éclairée, la philosophie de l'ivresse n'a peut-être pas dit son dernier mot. -
Revue Critique n.935 : Après Canguilhem. Nouveaux dialogues entre médecine et philosophie
Revue Critique
- Éditions de Minuit
- Revue Critique
- 3 Avril 2025
- 9782707356505
« Ôtez Canguilhem et vous ne comprenez plus grand-chose à toute une série de discussions. »
Par ces mots, Michel Foucault faisait de Georges Canguilhem l'invisible clef de voûte de la philosophie française. Pourtant, à son décès en 1995, l'austère historien des sciences ne nous avait légué qu'une oeuvre bien circonscrite, consistant pour l'essentiel en cinq livres. Ce premier ensemble, où trônaient Le Normal et le Pathologique et La Connaissance de la vie, n'est plus que la pointe émergée d'un iceberg. Les oeuvres complètes de Canguilhem, dont le sixième volume paraît ce mois-ci, comptent désormais plusieurs milliers de pages. Renouvelé et enrichi, ce corpus modifie profondément l'image que nous nous formions de sa pensée. Trente ans après, l'oeuvre de Canguilhem, plus vivante que jamais, ouvre de nouvelles pistes - à l'histoire des sciences biologiques et médicales, mais aussi à la philosophie tout court. -
Devant l'image : question posée aux fins d'une histoire de l'art
Georges Didi-Huberman
- Éditions de Minuit
- Critique
- 4 Avril 1990
- 9782707313362
Ce livre développe une question critique posée et reposée à nos certitudes devant l'image.
Comment regardons-nousoe pas seulement avec les yeux, pas seulement avec notre regard. voir rime avec savoir, ce qui nous suggère que l'oeil sauvage n'existe pas, et que nous embrassons aussi les images avec des mots, avec des procédures de connaissance, avec des catégories de pensée.
D'où viennent-elles, ces catégoriesoe c'est la question posée ici à la discipline de l'histoire de l'art, dont le développement actuel - la finesse de ses outils, son impressionnante capacité d'érudition, sa prétention scientifique, son rôle dans le marché de l'art - semble autoriser le ton de certitude si souvent adopté par les professionnels de l'art, les savants de l'image.
Or, qu'est-ce qu'un savoir lorsque le savoir porte sur ce protée que l'on nomme une imageoe la question exige de mettre à jour la "philosophie spontanée" ou les modèles discursifs mis en jeu lorsque nous cherchons, devant un tableau ou une sculpture, à en tirer, voire à en soutirer une connaissance. entre voir et savoir se glissent bien souvent des mots magiques, les philtres d'une connaissance illusoire: ils résolvent les problèmes, donnent l'impression de comprendre.
Ces mots magiques, vasari, le premier historien de l'art, au xvie siècle, en a inventé de fameux, qui traînent encore dans notre vocabulaire. panofsky, le "réformateur" de l'histoire de l'art, au xxe siècle, les a critiqués dans un sens, à l'aide d'un outil philosophique considérable - la critique kantienne de la connaissance -, mais il les a restaurés dans un autre sens, au nom de l'humanisme et d'un concept encore classique de la représentation.
C'est du côté de freud que l'on a cherché ici les moyens d'une critique renouvelée de la connaissance propre aux images. l'acte de voir s'y est littéralement ouvert, c'est-à-dire déchiré puis déployé: entre représentation et présentation, entre symbole et symptôme, déterminisme et surdétermination. et, pour finir, entre la notion habituelle du visible et une notion renouvelée du visuel. l'équation tranquille - métaphysique ou positiviste du voir et du savoir laisse place dès lors à quelque chose comme un principe d'incertitude.
Quelque chose comme une contrainte du regard au non-savoir. quelque chose qui nous met devant l'image comme face à ce qui se dérobe: position instable s'il en est. mais position qu'il fallait penser comme telle pour la situer malgré tout dans un projet de connaissance - un projet d'histoire de l'art.
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La peinture incarnée ; Le chef-d'oeuvre inconnu
Honoré de Balzac, Georges Didi-Huberman
- Éditions de Minuit
- Critique
- 1 Février 1985
- 9782707310095
Ces « pensées détachées » sur la peinture ont un fil conducteur : c'est une lecture du Chef-d'oeuvre inconnu de Balzac, récit qui fonctionne comme un mythe, admet une multiplicité d'entrées. Mythe sur l'origine, les moyens et l'extrémité de la peinture. C'est de tout cela qu'il est question.
Partant de l'« exigence de la chair » qui traverse tout le drame du peintre Frenhofer, une sorte d'histoire se reconstitue : c'est celle du problème esthétique de l'incarnat en peinture, depuis Cennini jusqu'à Diderot, Hegel, Merleau-Ponty.
Or, ce problème met en jeu le statut même du rapport qu'entretient la peinture figurative - un plan, des couleurs - avec son objet - une peau, des humeurs. Ce rapport est analysé comme une « aliénation », une perte au regard desquelles les notions d'objet et de sujet en peinture échoueront toujours à se stabiliser.
Si l'objet de la peinture - la peau - se perd irrémédiablement dans le plan, que reste-t-il ? Il reste un éclat, que le récit de Balzac met en scène de façon précise et bouleversante. Double est cet éclat : il est détail, hiératisation : le bout d'un pied de femme, « vivant », mais marmorisé. Et il est pan (selon le mot de Proust), c'est-à-dire la violence propre et quasi tactile d'un moment de pure couleur. Violence qui porte le peintre à dire « Rien, rien ! » tout en regardant son tableau. Violence qui porte le peintre vers son suicide. Distinguer conceptuellement le détail et le pan relève ici d'un projet et d'un questionnement : comment parler de la peinture aujourd'hui, entre la théorie sémiotique, la psychanalyse, et l'exigence d'une phénoménologie ?
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Revue Critique n.932-933 : Guerres civiles
Revue Critique
- Éditions de Minuit
- Revue Critique
- 6 Février 2025
- 9782707356185
Le mot est sur toutes les lèvres, la chose dans bien des esprits : la guerre civile est le spectre qui aujourd'hui hante l'Europe - et l'Amérique du Nord.
Qui l'eût dit, voici vingt ou quarante ans ? La guerre civile semblait devenue chose exotique. Les nôtres, sociales ou religieuses, relevaient du passé. En plein Mai 68, le général De Gaulle agitait l'épouvantail d'une « chienlit » puérile, sinon honnête. Dans la France bien moins agitée de 2025, pas un politique qui ne nous menace de guerre civile et qui, prétendant nous en prémunir, ne lui donne corps et crédibilité.
Nous avons, il est vrai, la mémoire courte. Au cours des deux derniers siècles, rares sont les sociétés à n'avoir pas connu ce type d'affrontements. Dès la fin de la guerre froide, après deux conflits mondiaux, on a vu ressurgir des guerres à la fois civiles et militarisées, nationales et internationales. Après 1968, des groupes révolutionnaires rêvaient d'en précipiter le déclenchement. De nos jours, ce sont les droites extrêmes, aux États-Unis en particulier, qui préparent l'implosion. La fiction, comme elle sait le faire, a anticipé ou accompagné cette revenance : romans et films se sont multipliés qui dépeignent les formes brutales que pourraient prendre nos futures guerres civiles.
Danger imminent ? Fantasme complaisant ? Dans ce numéro, coordonné par Laurent Jeanpierre, des philosophes, des historiens, des politistes, des juristes, des anthropologues nous aident à clarifier les termes de la question. -
Devant le temps : Histoire de l'art et anachronisme des images
Georges Didi-Huberman
- Éditions de Minuit
- Critique
- 5 Octobre 2000
- 9782707317261
Mettre le temps au centre de toute pensée de l'image : nous sommes devant l'image comme devant du temps - car dans l'image c'est bien du temps qui nous regarde.
Quel genre de temps ? Durée ou instantanéité ? Continuité ou discontinuité ? Écoulement ou écroulement ? Généalogie ou nouveauté ? Les questions sont multiples. Ce livre tente de les reformuler, dans toute l'ampleur des débats qui conditionnent, aujourd'hui encore, notre approche des images : depuis l'antique fondation d'une histoire de l'art chez Pline l'Ancien jusqu'aux plus récents débats sur l'art contemporain.
Au coeur de ces dilemmes surgit une position dialectique qu'incarnent spécialement quelques penseurs non académiques des années vingt et trente, spécialement Walter Benjamin et Carl Einstein. Leur travail théorique est ici relu comme une pensée de l'anachronisme : les images ne sont ni les purs fétiches intemporels que prône l'esthétique classique, ni les simples chroniques figuratives que prône l'histoire de l'art positiviste. Elles sont des montages de temporalités différentes, des symptômes déchirant le cours normal des choses. Quand l'image survient, l'histoire se « démonte », dans tous les sens du mot. Mais alors, le temps se montre, il s'ouvre dans toute sa complexité, dans son montage de rythmes hétérogènes formant anachronismes.
Façon de repenser, dans l'image, les rapports de notre Maintenant avec l'Autrefois. Façon de critiquer une certaine conception de l'histoire en proposant, via l'anachronisme - cette part maudite de l'historien - un nouveau modèle de temporalité. Façon de mettre l'image au centre de toute pensée du temps.
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Il n'y a probablement de pensée solide - comme d'ailleurs d'oeuvre solide quel qu'en soit le genre, s'agît-il de comédie ou d'opéra-bouffe - que dans le registre de l'impitoyable et du désespoir (désespoir par quoi je n'entends pas une disposition d'esprit portée à la mélancolie, tant s'en faut, mais une disposition réfractaire absolument à tout ce qui ressemble à de l'espoir ou de l'attente). Tout ce qui vise à atténuer la cruauté de la vérité, à atténuer les aspérités du réel, a pour conséquence immanquable de discréditer la plus géniale des entreprises comme la plus estimable des causes.
Réfléchissant sur cette question, je me suis demandé si on pouvait mettre en évidence un certain nombre de principes régissant cette « éthique de la cruauté », - éthique dont le respect ou l'irrespect qualifie ou disqualifie à mes yeux toute oeuvre philosophique. Et il m'a semblé que ceux-ci pouvaient se résumer en deux principes simples, que j'appelle « principe de réalité suffisante » et « principe d'incertitude ».
Le Principe de cruauté est paru en 1988.
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Comment parler de l'autre côté, se demanda Alice. Car, en fait de merveilles, elle avait découvert qu'elle était plus d'une, et qu'une seule langue ne pouvait signifier ce qui avait lieu entre elles. Il fallait pourtant essayer de se faire entendre. Alors, s'appliquant, elle reprit :
Que dire d'une sexualité féminine autre ? Autre que celle prescrite dans et par l'économie du pouvoir phallique. Autre que celle encore et toujours décrite - et normalisée - par la psychanalyse. Comment inventer, ou retrouver, son langage ?
Comment interpréter le fonctionnement social à partir de l'exploitation des corps sexués des femmes ? Que peut être, dès lors, leur action par rapport au politique? Doivent-elles ou non intervenir dans les institutions ?
Par quel biais échapper à la culture patriarcale ? Quelles questions poser à son discours ? À ses théories ? À ses sciences ? Comment les énoncer pour qu'elles ne soient pas, à nouveau, soumises à la censure ou au refoulement ?
Mais aussi : comment déjà parler femme ? En retraversant le discours dominant. En interrogeant la maîtrise des hommes. En parlant aux femmes, entre femmes.
Questions - parmi d'autres - qui s'interrogent et se répondent dans plusieurs langues, sur plusieurs tons, à plusieurs voix. Déconcertant l'uniformité d'un discours, la monotonie d'un genre, l'autocratie d'un sexe. Innombrables les désirs des femmes, et jamais réductibles à l'un ni à son multiple.
Le jour était déjà levé depuis longtemps. Une histoire n'en finissait pas d'imposer son ordre. De l'obliger à s'exposer dans une clarté un peu froide. Dans l'attente d'un autre matin, elle repassa derrière le miroir, et elle se retrouva entre elles toute(s).
Luce Irigaray
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L'objet absolument singulier est incapable de décliner son identité, puisqu'il n'est rien qui lui soit identique : il est à la fois unique et étrange, et pour la même raison.
Tel est le monde dans son ensemble : " un être unilatéral dont le complément en miroir n'existe pas " (ernst mach). et telle est la réalité en général, composée d'objets singuliers, ensemble indéterminé d'objets non identifiables. objets proprement indescriptibles, mais d'autant plus évocateurs du réel que la description en est plus malaisée. ainsi, par exemple, les objets du rire, de la terreur, du désir, du cinéma, de la musique donnent-ils lieu à d'étranges et exemplaires appréhensions du réel.
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Revue Critique n.931 : Rome hors ses murs
Revue Critique
- Éditions de Minuit
- Revue Critique
- 2 Janvier 2025
- 9782707356178
Rome est très tôt sortie d'elle-même, en impérieuse conquérante. Presque aussi vite, elle est devenue la proie de multiples imaginaires : celui des Européens fut longtemps captivé par le mystère de sa grandeur et par l'énigme de sa « décadence ». Vaste champ pour la réflexion politico-morale, mais aussi pour des mises en fiction où Rome cessait d'être exemplaire...
Si le rêve romain se poursuit aujourd'hui, c'est à bonne distance des lieux communs fatigués. Il se renouvelle grâce à Pierre Vesperini, découvreur de ces inventeurs de la littérature que furent, selon lui, les « poètes et lettrés oubliés » de la Rome républicaine. Il s'enrichit des prises et reprises romaines de Fellini et Pasolini « archéologues ». Il se diversifie étrangement, lorsque Raphaël Doan bâtit une Rome contrefactuelle avec la complicité de l' I.A. Il s'élargit de la Ville au Monde dans les cultural studies états-uniennes invitant à « dé-provincialiser » l'histoire romaine. Et il continue, bien sûr, à suivre les chemins de la fiction, voire de l'autofiction dans un livre comme celui de Béatrice Commengé, partie sur les traces d'Ovide exilé. Rome n'est plus dans Rome, elle est partout où nous sommes. -
Revue Critique n.925-926 : Pier Paolo Pasolini : Un songe fait en Italie
Revue Critique
- Éditions de Minuit
- Revue Critique
- 13 Juin 2024
- 9782707355119
Le centenaire de la naissance de Pier Paolo Pasolini en 2022 a donné lieu en France comme en Italie à une avalanche de publications. La fascination exercée par ce poète - ce créateur - n'a jamais cessé depuis sa mort tragique le 2 novembre 1975 sur la plage d'Ostie. En France autant qu'en Italie, et pourtant différemment, Pasolini subjugue, attire, envoûte. Mais le plus frappant, presque un demi-siècle après son assassinat, c'est l'actualité qu'a reprise son oeuvre.
Pasolini se présentait dans un de ses poèmes comme une force du passé ; ce numéro spécial de Critique le montre comme une force de notre présent. Et pour contrebalancer les effets d'appropriation qui, en France, ont fait de lui une icône, c'est un Pasolini rendu à l'Italie que nous avons voulu donner à voir, en invitant plusieurs spécialistes italiens de son oeuvre (Marcantonio Bazzocchi, Gianluigi Simonetti) aux côtés de connaisseurs français de sa réception italienne (René de Ceccatty, Thierry Hoquet, Marielle Macé, Martin Rueff).
Avec un texte inédit en français de Walter Siti, écrivain et éditeur des oeuvres complètes de Pasolini en Italie, qui revient sur « Le mythe Pasolini ». -