Dans ce dialogue intellectuel et intime, la romancière Annie Ernaux et la sociologue Rose-Marie Lagrave, issues de la même génération, se livrent à une réflexion sur leurs trajectoires sociales : elles évoquent autant leurs points communs - familles modestes, normandes, bercées par le catholicisme -, que la manière différente dont elles se conçoivent en tant que transfuges de classe. Elles partagent ici leurs parcours, leurs lectures (de Pierre Bourdieu à Virginia Woolf), leurs rapports au travail, à la reconnaissance et à la vieillesse, et donnent à penser l'amitié féministe et l'écriture comme voies vers l'émancipation.
En étudiant les liens de solidarité entre des communautés de mineurs en grève, en particulier au pays de Galles du Sud, et un groupe de militant·e·s gays et lesbiennes basé à Londres, ce livre se penche sur un épisode de l'histoire britannique redécouvert par le grand public à la sortie du film Pride (2014). Marie Cabadi choisit d'appréhender la solidarité comme une relation certes partielle mais bien réelle et, à partir d'archives éclairant les perspectives galloises comme londoniennes, retrace précisément le travail politique de construction de ces liens entre mouvement ouvrier et mouvement gay et lesbien.
Acteur majeur de l'historiographie française de la seconde moitié du XXe siècle, Marc Ferro était aussi l'un des historiens les plus populaires au sein du grand public. Spécialiste du monde russe, il fut un pionnier dans l'utilisation des images comme sources et co-dirigea les Annales. Résistant et enseignant en Algérie, il s'est intéressé très tôt à l'histoire coloniale. En retraçant son parcours, ce livre donne à voir le travail de l'historien en prise avec le passé et le présent, soucieux de l'avenir, et attentifs aux allers-retours entre la grande et les petites histoires.
Quatre textes méconnus de Pierre Bourdieu sur la question de la réflexivité sont ici réunis : deux inédits, un texte qui n'est disponible qu'en allemand, et un dernier paru dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales, en 1995, mais qui n'a pas été republié depuis. L'ensemble rappelle ainsi le programme parfois mal compris et surtout peu pratiqué d'une science sociale réflexive. Il s'oppose, d'une part, à la croyance naïve qu'il suffirait d'avouer ses caractéristiques sociales personnelles pour s'affranchir de leurs effets sur sa production scientifique et, d'autre part, à la conviction que le fait de se soumettre au consensus scientifique dominant soit gage de scientificité.
Cet ouvrage rassemble une quinzaine de courts textes de l'historien Lucien Febvre, dispersés jusque-là dans des publications très différentes, et qui ont tous trait à la question du rapport entre l'histoire et les sciences, humaines mais surtout naturelles. Febvre, très intéressé par la véritable révolution que connaît la physique au début du XXe siècle et attentif aux sciences de la terre, a en effet défendu, tout au long de sa vie, une approche globale des sciences, dans laquelle les sciences expérimentales devaient faire l'objet d'une véritable analyse historique, mais devaient également partager avec les sciences de l'homme et de la société un même horizon épistémologique
Publié dans la collection «Inside Technology» des MIT Press, Sorting Things Out est un classique incontournable des sciences sociales américaines.
C'est l'un des tout premiers ouvrages à avoir placé l'informatique et les mondes numériques au centre de sa réflexion, à partir d'une thématisation sociologique de l'information, de la production et de la circulation des données. Singularité qui accroît sa portée : les auteurs travaillent sur les nouvelles technologies dans une interrogation plus vaste sur le travail catégoriel, et font cohabiter une analyse d'internet à ses débuts avec des terrains plus classiques comme les catégorisations raciales, du travail, et des maladies.
Jalon important des infrastructure studies notamment, le livre est abondamment cité en anglais et a été discuté par la sociologie des sciences et des techniques française, notamment par Bruno Latour et Michel Callon. Certains de ses concepts centraux comme celui d'objet frontière sont également repris en français mais par un public encore assez spécialisé.
Des flâneurs aux jardiniers urbains, des membres d'associations locales à l'équipe de rugby féminin, Camilo Leon-Quijano donne à voir et à entendre la ville de Sarcelles, symbole de la cité-dortoir de région parisienne, dans sa complexité et sa richesse, libérée des caricatures et des idées reçues sur la banlieue.
Le travail du photographe ne vient pas simplement s'ajouter à celui de l'anthropologue, il en est le coeur. L'image devient ainsi l'instrument privilégié de l'enquête de sciences sociales qui se révèle, au-delà du béton, sensible aux humanités.
Cet ouvrage ambitieux et novateur publié en 1988 réunit des essais indépendants autour de quatre grands axes : Descola passe en revue l'histoire des concepts de causalité, Lenclud éclaircit la question maintes fois rebattue de « fonction », Severi s'affranchit des écrits antérieurs autour de la notion de structure en s'appuyant sur les travaux scientifiques de Goethe et, dans un essai sur l'histoire, Taylor se détache des idées classiques sur l'évolutionnisme et l'histoire culturelle. Audelà d'une histoire de la théorie de leur discipline, ces quatre anthropologues soulignent pour la première fois les liens entre l'ethnologie et l'histoire plus générale des idées en Occident.
Juliette Rennes est directrice d'études à l'EHESS. Ses travaux articulent sociologie et histoire du genre, de l'âge, du travail et des cultures visuelles. Elle a notamment publié Femmes en métiers d'hommes (Cartes postales). Une histoire visuelle du travail et du genre (Bleu autour, 2013) et coordonné l'Encyclopédie critique du genre (La Découverte 2016, rééd. augmentée en poche 2021).
La grande historienne du Moyen Âge Chiara Frugoni retourne ici à Solto, petite ville du haut Bergame, dans la maison de ses grands-parents maternels. Avec une mémoire aiguë des sentiments et des sensations, elle évoque le temps de son enfance et, au-delà, la vie dans la société italienne d'alors. La constellation des personnages qu'elle ressuscite à partir de photographies et de portraits se déploie sur une période d'un siècle. Au fil des pages de cette autobiographie porteuse de tout un monde disparu, on est saisi par le rendu des lumières d'un jardin ou encore par celui de la simplicité muette d'objets qui ont survécu... Fille d'un des plus grands médiévistes italiens, Chiara Frugoni nous a quittés en 2022, laissant une oeuvre personnelle profondément originale.
Thomas Lemke s'intéresse à la manière dont la vie est devenue un objet pour la réflexion politique - qu'elle soit considérée comme la base naturelle de la politique, ou bien au contraire qu'elle soit conçue comme un terrain sur lequel la politique elle-même se serait étendue à un moment historique déterminé. Spécialiste internationalement reconnu de l'oeuvre de Michel Foucault et très peu traduit en français, l'auteur entreprend dans ce livre de présenter et discuter les usages de la notion de biopolitique, et esquisse comment on peut construire, à partir de la conceptualisation proposée par Foucault, les grandes lignes d'un domaine d'investigation : une « analytique de la biopolitique ».
Traduit de l'allemand par Vincent Deplaigne
En s'appuyant sur des textes de philosophes, d'historiens, de poètes, Nicole Loraux revient, dans ce livre publié pour la première fois en 1981, sur l'oraison funèbre, cette « invention athénienne » née selon elle au cours des années 460 av. J.-C., suite au renforcement de la démocratie et à la volonté d'Athènes de régner sur les autres cités. L'oraison funèbre est un discours prononcé par un orateur choisi par la cité en l'honneur des citoyens morts au combat, au sein d'une cérémonie codifiée qui a toujours lieu au cimetière du Céramique lors de funérailles collectives. L'auteure montre comment ce logos épitaphios devient à la fois le lieu d'élaboration et de manifestation d'une parole démocratique, un discours de rupture avec le passé et un objet privilégié pour critiquer la politique.
Ce livre est devenu un classique pour apprendre à éviter les « maladies de la raison sociologique » et compte parmi les contributions les plus importantes et les plus novatrices de la sociologie contemporaine. Une première partie « manifeste » dresse un portrait de ce que doivent être les sciences sociales selon les trois sociologues. Une seconde partie composée de près de 50 extraits de textes fondateurs des SHS, préalablement introduits par les auteurs, fait de cet ouvrage un véritable manuel aussi bien des sciences sociales que de la philosophie des sciences. Cette nouvelle édition propose une préface inédite de Paul Pasquali remontant aux origines du projet, à sa gestation et au rayonnement considérable qui suivit sa publication.
Ce livre est le premier consacré à l'art maritime et à l'esclavage des galères dans la France du XVIIe siècle. Il montre comment les images et le travail forcé des musulmans étaient au coeur de la politique et de la propagande de Louis XIV.
Le Roi-Soleil en mer met l'accent sur le rôle de ces « esclaves turcs » - des rameurs capturés ou achetés en terre d'islam - dans la construction et la décoration des navires. En attirant l'attention sur le travail forcé à l'origine de l'art maritime méditerranéen, cette étude remet en question l'idée selon laquelle la servitude humaine avait alors disparu en France. On y découvre le savoir-faire et la créativité des esclaves de l'Empire ottoman et d'Afrique du Nord qui produisaient, aux côtés des bagnards et des artisans, des oeuvres souvent éphémères, reflets de ces rencontres interculturelles.
À travers un large éventail d'illustrations - dessins de navires, sculptures d'artillerie, médailles, peintures et gravures -, Meredith Martin et Gillian Weiss nous invitent à reconsidérer l'image dominante de l'art et du pouvoir dans la France de Louis XIV, au-delà de Paris et Versailles.
La Florence de la première Renaissance est une ville de négociants, d'industriels, d'artisans, de peintres. Ces hommes tiennent des livres de comptes et beaucoup ne lâchent pas la plume en rentrant chez eux. Certains se piquent même de généalogie. Si cette écriture domestique qui enregistre, calcule et transmet est la pierre angulaire de la confiance réciproque et de l'identité sociale, elle est en revanche encore mal partagée entre hommes et femmes. Celles-ci s'efforcent toutefois de s'en approprier l'usage pour participer à la vie quotidienne et à la mémoire collective de leurs lignées.
Grande historienne de la parenté et des mentalités, Christiane Klapisch-Zuber montre dans cet essai que le recours à l'écrit offre également une issue aux conflits qui mettent en cause l'honneur du groupe. Que les «?livres de famille?» gardent la trace des affrontements ou, au contraire, les passent sous silence, ils sont toujours au coeur des relations sociales?: c'est tout l'art florentin de la mémoire.
Camille Lefebvre restitue dans ce livre, avec la distance de son métier d'historienne, les passés de ses quatre grands-parents qui la construisent.
Ces trajectoires d'individus et de fratries pris dans l'histoire, ce sont celles d'hommes et de femmes ordinaires ayant vécu des événements extraordinaires ;
Une famille où se mêlaient l'engagement communiste, la résistance, les persécutions, la Shoah, les guerres, les exils, où les corps avaient été meurtris par les conflits, mais dans laquelle, comme souvent en cas d'expérience traumatique, les silences étaient aussi présents que les récits.
Cet ouvrage nous interroge sur ce qui fait l'identité d'un individu, comment celle-ci se construit, comment elle disparaît ou change profondément.
Oeuvre singulière dont l'interprétation est toujours ouverte, la Flagellation du Christ de Piero della Francesca est une peinture mystérieuse et fascinante. Si l'oeil contemporain se laisse volontiers séduire par l'absolue perfection de sa perspective centrale, il peine à comprendre son sujet réel. Menée comme une enquête, cette étude progresse depuis l'intérieur du tableau, au plus près de ses formes, de ses couleurs, mais aussi et peut-être surtout de sa savante géométrie conçue par un peintre mathématicien qui pense et utilise la perspective comme une "science" de la mesure capable d'aider l'homme à atteindre l'infinité divine.
Sous cet angle, on ne doit plus considérer le chef-d'oeuvre de la Flagellation du Christ isolément, mais en relation avec d'autres peintures du maître de Borgo Sansepolcro (le Baptême du Christ de Londres, les deux Saint Jérôme de Berlin et de Venise, la Vierge de Senigallia d'Urbino). La question de la présence du peintre dans son oeuvre, y compris à travers son portrait, celle de son rapport au temps et au salut, celle de l'usage conscient et précurseur de la "divine proportion" sont quelques-unes des étapes de ce livre que l'on peut lire aussi comme une invitation à renouveler notre vision de l'un des plus grands peintres du XV ? siècle italien.
Cet ouvrage s'interroge sur la nature des frontières sociales, sur la façon dont elles sont érigées, sur les processus de leur reconnaissance et de leur transmission, sur leur imperméabilité supposée ou à l'inverse sur leur porosité.
Les différentes contributions explorent les dynamiques qui conduisent à l'édification de frontières, à leurs consolidations ou à leurs transformations.
Ce texte, absent de l'édition française de 1975 et qui ouvre le deuxième tome de Sur le processus de civilisation (1939), porte sur l'époque médiévale et décrit les effets généraux du procès de civilisation sur l'histoire occidentale. Norbert Elias esquisse dans cet inédit ce qu'il appelle la « sociogenèse de l'État », une évolution qui repose en grande partie sur la constitution de la cour comme espace social, politique et culturel. Ces pages sont également très précieuses pour en apprendre davantage sur les méthodes de travail d'Elias : comment un intellectuel allemand formé dans les années 1910- 1920 à la psychologie, la philosophie et la sociologie faitil pour écrire sur le Moyen Âge ? À partir de quels outils, et de quelles sources ?
La critique de la famille est au coeur de la pensée féministe. Pourtant, dans les études de genre, comme dans bien d'autres domaines de recherche, la métaphore familiale est souvent mobilisée pour exprimer l'entremêlement du biographique et du bibliographique, du personnel et du politique, des idées et des affects. Composé d'articles, d'entretiens, de récits et de cartes mentales, cet ouvrage déplie la métaphore pour saisir ce que l'on considère d'ordinaire comme étranger à la sphère professionnelle et intellectuelle. Des AG enfumées du MLF aux bancs de l'université et aux mobilisations actuelles, comment comprendre de manière réflexive les héritages, les liens, les ruptures, les griefs ou les passages de relais entre les générations ? En retraçant l'histoire d'un engagement collectif qui a transformé la pratique des sciences humaines et sociales, ce livre révèle aussi la matière même des vies intellectuelles.
Avec les contributions de Maira Abreu, Zahra Ali, Laure Bereni, Michel Bozon, Judith Butler, Maxime Cervulle, Isabelle Clair, Sonia Dayan-Herzbrun, Baptiste Coulmont, Leyla Dakhli, Virginie Descoutures, Xavier Dunezat, Elsa Dorlin, Agnès Fine, Fanny Gallot, Nacira Guénif-Souilamas, Astrid Henry, Helena Hirata, Alban Jacquemart, Rose-Marie Lagrave, Jacqueline Laufer, Margaret Maruani, Camille Masclet, Frédérique Matonti, Mélusine, Pascale Molinier, Nelly Quemener, Florence Rochefort.
Les deux conférences inédites, dont les transcriptions sont réunies dans ce livre, se font écho à plus d'un demi-siècle de distance et témoignent de la parole publique du plus célèbre des anthropologues français. Lévi-Strauss prononce la première en janvier 1937 et la seconde en avril 1992, année où se célèbraient les quatre cents ans de la mort de Montaigne. Ces deux textes nous permettent de mesurer le cheminement de la pensée de Montaigne dans le parcours intellectuel de Lévi-Strauss.