"La science avait libéré les femmes de l'esclavage de l'enfantement et, dès lors, renversé leur subordination sociale." Andrésy, bourgade des Yvelines, baignée par les eaux de la Seine, coule des jours paisibles. Ses citoyennes y mènent une vie bien réglée et sans heurts. Après l'hécatombe du Grand Fléau qui a décimé une moitié de l'humanité, Césarine n'a pas eu grand mal à convaincre les survivantes de troquer leur liberté contre un sentiment de sécurité. Née de ce marché de dupes, la Nouvelle République française se perpétue depuis à coups de propagande. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes... jusqu'au jour où Francine Bonne, citoyenne pourtant exemplaire, décide de prendre un deuxième mari. Pierre le stérile et Jean le trop viril vont désormais partager chambre, tâches domestiques et plaisirs interdits. Bafouée dans ses principes, la Nouvelle République va devoir purifier la société de ses éléments indésirables. Une alliance des trois pouvoirs, politique, médiatique, judiciaire, est convoquée pour mener à bien cette mission. Formé à l'archéologie, Nuno Gomes Garcia fouille son histoire comme il fouillerait un sol, par couches temporelles, en nous laissant le soin d'ordonner ces va-et-vient entre passé, présent et futur. Finaliste du prestigieux prix Leya, il signe ici son troisième roman.
Ce roman écrit à la 2e personne nous installe d'emblée dans une relation à tu et à toi avec sa narratrice. Une fille d'aujourd'hui, une précaire qui conjugue vaille que vaille sa vie sexuelle avec ses amours passées-présentes, son boulot mal payé avec son goût pour la poésie lesbienne, ses envies de sobriété, tofu, légumes et kombucha, avec les shots de tequila-vodka. Dans sa coloc de Montréal, il y a une salle de bains digne de Versailles, des punaises de lit, un chat, et Octavia pour tenter d'oublier Marcela. Mènerait-elle sa barque autrement si elle n'était pas handicapée de la main droite ? Ou est-ce son enfance dans une famille trop normale qui l'amène à toujours risquer le tout pour le tout ?
Née en 1905 dans un Japon en pleine mutation, Hirabayashi Taiko rompt très tôt avec sa famille pour s'engager dans le mouvement anarchiste. Publiée en 1927, la nouvelle "Dérision" lui vaut un prix littéraire et l'inscrit d'emblée dans le courant de la "littérature prolétarienne, tendance féministe" . Dans le style incisif qui la caractérise, Hirabayashi Taiko décrit la vie de misère des jeunes anarchistes et la cruauté de la misogynie.
Son oeuvre toute entière pétrie d'expérience vécue est aussi sans illusions. Et c'est avec une lucidité redoutable qu'elle s'attaque au mythe de l'amour, conjugal ou maternel.
Souad Labbize est descendue "dans les caves de l'enfance", pour écrire ce témoignage en soutien à toutes les femmes et filles victimes d'agressions sexuelles. Rédigé en français, traduit en arabe, il pose dans ces deux langues des mots sur la douleur et la honte, sur la rudesse de la mère et l'indolence du père. Des cris horrifiés, sans compassion ni tendresse pour l'enfant violée, la projettent sur le chemin au bout duquel elle gagnera sa liberté et son indépendance.
Souad Labbize a publié un roman, J'aurais voulu être un escargot (Séguier, ré-édition Éd. des Lisières) et deux recueils de poésie, Une échelle de poche pour atteindre le ciel (Al Manar) et Brouillons amoureux (Éd. des Lisières).
Près de vingt-cinq ans séparent la ruade punk féministe initiée par les Riot grrrls, aux États-Unis, de la prière punk prononcée à Moscou par les Pussy Riot. Un quart de siècle au cours duquel s'est constituée une véritable contre-culture féministe underground, qui poursuit la révolution Grrrl Style engagée par les premières émeutières au début des années 1990.
Manon Labry retrace ici, sous l'angle des cultural studies, la généalogie de ce courant protéiforme qui a su développer une résistance labile et protéiforme, apte à déjouer les visées d'un système qui cannibalise ses marges pour les asservir.
Sexe et race sont le produit d'un long processus de spécification et de naturalisation sociales propre aux relations de domination et d'appropriation. Et si construites qu'elles soient, ces deux notions n'en conservent pas moins une réalité sociale pour les personnes (de couleur, de sexe féminin) censées les incarner. Le concept d'appropriation est un élément essentiel apporté par Colette Guillaumin à la théorie des rapports entre les sexes, où le corps même des dominées (et pas seulement leur travail) est l'objet de la mainmise, comme ce fut le cas dans le servage de l'Ancien Régime, dans l'esclavage de plantation, et dans ce que Colette Guillaumin nomme, pour les femmes, le sexage: La parenté de l'institution esclavagiste avec le sexage réside dans l'appropriation sans limites de la force de travail, c'est-à-dire de l'individualité matérielle elle-même. Colette Guillaumin, sociologue au CNRS, membre du collectif Questions féministes et cofondatrice de la revue Le Genre humain a enseigné aux universités d'Ottawa et de Montréal. Elle a publié L'idéologie raciste. Genèse et langage actuel (1972) et de nombreux articles sur les formes idéologiques qui doublent les rapports de sexe et de race. Beaucoup d'entre eux ont été traduits ou directement publiés dans divers pays, notamment le recueil Racism, sexism, power and ideology. Sexe, race et pratique du pouvoir, ici réédité, rassemble des textes écrits dans les années 1970 et 1980.
En 1918, les femmes britanniques - ou plus exactement une partie d'entre elles... - obtenaient le droit de vote. La publication de ce roman, paru en 1911 et traduit pour la première fois en français, célèbre le centenaire de cette demi-victoire. Populaire et didactique, écrit par une des protagonistes du mouvement autour de faits réels, il décrit un moment particulièrement véhément du combat des suffragettes. Les circonstances, les personnages, les situations que Colmore choisit de mettre en avant livrent quantité
La réédition d'un livre majeur, publié en 1991 et devenu indisponible, augmentée d'un tableau synoptique sur les trois modes de l'identité sexuelle/sexuée/de sexe. "L'anatomie est politique", insiste Nicole-Claude Mathieu, ponctuant une interrogation sur le concept de "genre" et celui de "sexe social", qu'elle a forgé au début des années 1970. Co-fondatrice, en 1977, de la revue Questions féministes, Nicole-Claude Mathieu est l'une des grandes voix du féminisme matérialiste.
En trois siècles et demi d'existence, l'Académie a beaucoup travaillé à masculiniser le français. Ardente avocate du « genre le plus noble », elle a lancé contre la « féminisation » une croisade aveugle aux logiques de cette langue romane et aux évolutions en cours dans les autres pays francophones. Les Quarante, il est vrai, ne sont ni grammairiens, ni linguistes, ni philologues... L'ouvrage retrace cette guerre menée à grand renfort de déclarations péremptoires, mais infondées, réactionnaires et sexistes, face auxquelles les protestations n'ont pas manqué. Il en précise aussi les enjeux et permet de comprendre pourquoi la France a entamé sa « révolution langagière » contre les avis de l'Académie.
Avec la contribution, singulière et collective, de Maria Candea, Yannick Chevalier, Sylvia Duverger et Anne-Marie Houdebine.
La collaboration d'Audrey Lasserre.
Et l'aimable concours de Louise Labé.
Un soir d'été, Isabelle Alentour regarde "Syrie, le cri étouffé", un documentaire tourné par Manon Loiseau avec des rescapées des viols de masse perpétrés sur des prisonnières, opposantes au régime ou femmes, filles, soeurs de résistants. Un carnet sur les genoux, un stylo à la main, Isabelle note leurs paroles - ce qu'elle peut en noter. Elle y reviendra, elle complétera ces bribes et composera, par traits successifs, ce texte rare, sorte de poème de rage et d'effroi indigné pour celles, des milliers, dont le cri est à jamais étouffé ou à peine audible.
Isabelle Alentour a publié deux recueils de poésie : Je t'écris fenêtres ouvertes (La Boucherie littéraire) et La Fossette (Éd. La Porte).
Arpenter les territoires occupés d'une langue qui condamne à l'exil ou au mutisme celles qu'elle voue à incarner la différence... Dénoncer le coup de force du logos qui leste du poids de la réalité un monde inhospitalier... Et lui porter le coup de grâce en imaginant tout autre chose : une langue qui délivre les subjectivités des pronominations en IL et ELLE sans pour autant recourir au tour de passe-passe du neutre... Une polyphonie de voix singulières rétives aux règles du discours maître.
Postiches au menton, les barbues investissent les lieux du pouvoir pour ridiculiser, en le rendant visible, l'entre-soi masculin qui s'y perpétue. Illustré de photos et de dessins, riche en faits et en chiffres, le livre restitue le style ironique et décalé de ces militantes d'un autre genre.
Traduire, écrit Marie-Hélène Dumas, amène à «penser entre les langues». Porté par le courant des saisons, des lumières et la dérive des souvenirs, son Journal d'une traduction est invitation au voyage - d'une langue à l'autre, au fil d'une traversée entre ici et ailleurs, hier et aujourd'hui, avec l'exil en toile de fond.
«?Quand je traduis un livre, habituellement il m'est impossible d'écrire. C'est pourtant ce que j'ai fait entre janvier et août 2015 en tenant ce journal. Dans La République de l'imagination que je traduisais alors, Azar Nafisi parlait d'exil et de littérature. Depuis quelque temps j'accumulais des notes sur l'exil de ma famille maternelle, la langue, la traduction, le fait d'être moitié russe moitié française, de traduire de l'anglais ou de l'espagnol, d'avoir oublié le russe. Certaines phrases, idées, points de vue d'Azar Nafisi me renvoyaient la balle et me permettaient de retracer le chemin qui fait qu'on en arrive là, parce que certains immigrés choisissent l'intégration, parce que c'est difficile d'être moitié moitié, parce qu'on fait partie d'une génération, parce que la route, parce que le rock'n roll.?»
Christiane Rochefort a tenu ce journal par intermittences entre 1986 et 1993. L'autrice de Printemps au parking, des Stances à Sophie, d'Une rose pour Morrison aborde alors la vieillesse avec, intact, « un certain état de fureur » qui est la condition de sa lucidité, de son ironie, de sa légèreté profonde. Fureur de vivre et goût de vivre, chez elle puissamment liés, se traduisent en réflexions lapidaires sur l'état du monde, en fragments émerveillés devant sa beauté, l'apparition des bourgeons, le vol des martinets, le chant des rossignols ou Mozart.
Exercice capricieux et opiniâtre, le Journal saisit la pensée « dans son mouvement au jour le jour », à l'exacte intersection de la vie et de l'écriture.
Ce premier roman de Clémence Michallon, qui vit à New York et écrit aussi bien en français qu'en anglais, nous introduit dans l'univers de trois personnages en pleine mutation : Véronica la culturiste, qui vit au rythme des séances d'entraînement, des repas calibrés au gramme près, de la fonte des graisses et de la prise de muscles. Camélia la pâtissière très chic, mariée à une tradeuse de la bourse de New York et clouée au lit par une grossesse difficile. Nico, qui se partage entre la pâtisserie le jour et les scènes drag la nuit.
C'est un roman des corps tels qu'ils sont, devraient être ou seront, au gré des transformations qu'entraînent la puberté, les régimes, la grossesse, le sport, l'art de la séduction.
«Progressivement, par petites touches, par petits choix forcés, j'ai glissé de la sensation d'être au coeur de tous les possibles à la certitude d'être à la marge d'un monde étroit.» Par goût, petite fille on devient une Indien d'Amérique - on rêve d'espace et d'indépendance, on se met un bandeau sur le front pour tenir ses cheveux longs, on s'habille en pantalon. On ne sait pas, alors, que les Indiens survivent dans des réserves.
Avec le temps, on devient adulte, les choix s'affirment. On encaisse les coups en se disant que c'est le lot commun, on fait sa vie avec une femme et son enfant. Ça va mieux, ça va bien.
Et brutalement, les signaux passent au rouge. Quand une agence lui a demandé un reportage sur la Manif pour Tous, Marie a dit non. Impossible de les photographier, ces foules qui bannissent les couleurs arc-en-ciel de leur monde en rose et bleu.
À la place, Marie a fouillé dans ses archives, dans ses souvenirs, elle a tatoué sur ses photos la violence des arguments réactionnaires repris par les traditionalistes de tous bords. Son livre, Alors je suis devenue une Indien d'Amérique... fait le récit, en mots et en images, d'une prise de conscience courageuse et lucide qui restitue le choc dans toute sa brutalité.
Ce numéro propose la première traduction en français de plusieurs textes majeurs de la production Chicana et Latina-états-unienne.
Sont ici rassemblés des articles de Gloria Anzaldúa et Cherríe Moraga, coordinatrices de l'ouvrage This Bridge Called My Back : Writings of Radical Women of Color, avec le poème de l'Africaine-Américaine Kate Rushin qui en a inspiré le titre, ainsi que des contributions, entre autres, de Norma Alarcón, Chela Sandoval, et María Lugones. Ce numéro conçu pour offrir un aperçu de la complexité et de l'hétérogenéité des théories et des pratiques feministes et queers of color aux Etats Eunis est précédé par une première introduction en français au champ plus vaste des théorisations féministes et queers décoloniales dont certaines de ces auteures sont à l'origine, champ qui est distinct de la théorie postcoloniale et d'autres formations théoriques anti-(néo)coloniales.
Chercheuse à l'Institut des Textes et Manuscrits modernes (CNRS), Catherine Viollet s'était spécialisée dans l'étude génétique des textes. Les essais réunis dans ce recueil témoignent de la subtilité et de la ténacité de cette chercheuse, qui sut avec une tranquille audace imposer des manuscrits d'autrices dans le corpus très masculin de sa discipline.
Fine connaisseuse de l'oeuvre de Violette Leduc, elle se passionnait aussi pour Annie Ernaux et Marcel Proust, Christiane Rochefort et Simone de Beauvoir. En se basant sur les manuscirts de ces grands noms de la littérature, son décryptage des ratures, reprises, remords qui biffent les pages avant publication nous rend physiquement sensible le travail du « je » qui s'écrit - pas toujours à la première personne.
La femme au centre de ce récit dit elle ou dit je pour raconter la distance prise avec une réalité désormais ancienne et presque oubliée qui revient parfois comme une irritation, une démangeaison. Elle ne supporte pas ça. Elle ne l'a jamais supporté - ces mots, surtout, chargés de passivité et de mépris: la-femme-battue. Elle s'est arc-boutée autour de ce refus. Elle a appris à se tenir. Le dos droit, la tête haute, elle a serré les dents. Elle s'est accrochée, elle a tracé son chemin, elle s'est reconstruite. Reconstruite oui, réparée non. Un jour, il suffit d'une image pour abolir d'un coup la distance parcourue. Le récit dit le retour du choc, et le besoin d'apaisement. Reste une question: comment s'en sortir? Au fait, ça veut dire quoi, s'en sortir? Isabelle Auricoste vit et écrit à Paris, chez elle ou dans le train, lors de ses déplacements en région parisienne. Son précédent livre, Retour à Karp, est paru aux Éditions d'Écarts.
Parce qu'elle implique directement les corps et la sexualité, la prostitution a toujours été source de tension entre les divers courants se réclamant du féminisme. Les arguments avancés de part et d'autre creusent des lignes de fracture profondes que la proposition de loi soumise au Parlement rend plus clivantes encore. L'association Osez le féminisme ! publie ce livre afin d'expliciter les arguments qui l'amène à se prononcer pour le modèle abolitionniste adopté depuis 1999 en Suède.
L'Enchilada, dialogue entre texte et photos avec, dans les rôles principaux : Lydie Lee, la commanditaire de l'enquête. Fern alias Fernande, détective à corps défendant, tenue de bourlinguer de ville en ville. Camille Doctobre, qui a disparu sans laisser de traces.ŠŠ
"Répertorier les événements de son temps n'entame en rien la fiction". Poète, Emmanuèle Jawad creuse la langue jusqu'à obtenir une prose trouée, lacunaire, allégée des vides du discours. Touchés par ce travail de fragmentation, les mots éclatent de polysémie, ils s'entrechoquent et se frottent les uns aux autres dans un crépitement de significations. L'histoire qu'ils délivrent a trait à l'emprise du genre, aux stratagèmes à déployer pour s'en déprendre. Elle s'illustre de faits aléatoires et têtus, aux effets durables.