À l'été 1953, un jeune homme de 24 ans, fils de bonne famille calviniste, quitte Genève et son université, où il suit des cours de sanscrit et d'histoire médiévale puis de droit, à bord se sa Fiat Topolino. Nicolas Bouvier a déjà effectué de courts voyages ou des séjours plus long en Bourgogne, en Finlande, en Algérie, en Espagne, puis en Yougoslavie, via l'Italie et la Grèce. Cette fois, il vise plus loin : la Turquie, l'Iran, Kaboul puis la frontière avec l'Inde. Il est accompagné de son ami, Thierry Vernet, qui documentera l'expédition en dessins et croquis.
Ces six mois de voyage à travers l'Anatolie, l'Iran puis l'Afghanistan donneront naissance à l'un des grands chefs-d'oeuvre de la littérature dite « de voyage », L'Usage du monde, republié ici.
Soutiens-gorge rembourrés pour fillettes, obsession de la minceur, banalisation de la chirurgie esthétique, prescription insistante du port de la jupe comme symbole de libération : la " tyrannie du look " affirme aujourd'hui son emprise pour imposer la féminité la plus stéréotypée. Décortiquant presse féminine, discours publicitaires, blogs, séries télévisées, témoignages de mannequins et enquêtes sociologiques, Mona Chollet montre dans ce livre comment les industries du " complexe mode-beauté " travaillent à maintenir, sur un mode insidieux et séduisant, la logique sexiste au coeur de la sphère culturelle.
Sous le prétendu culte de la beauté prospère une haine de soi et de son corps, entretenue par le matraquage de normes inatteignables. Un processus d'autodévalorisation qui alimente une anxiété constante au sujet du physique en même temps qu'il condamne les femmes à ne pas savoir exister autrement que par la séduction, les enfermant dans un état de subordination permanente. En ce sens, la question du corps pourrait bien constituer la clé d'une avancée des droits des femmes sur tous les autres plans, de la lutte contre les violences à celle contre les inégalités au travail.
« Macron, c'est moi en mieux », confiait Nicolas Sarkozy en juin 2017. En pire, rectifient Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Les sociologues de la grande bourgeoisie poursuivent ici leur travail d'enquête sur la dérive oligarchique du pouvoir en France.
Au-delà du mépris social dont fait preuve le président, les auteurs documentent la réalité d'un projet politique profondément inégalitaire. Loin d'avoir été un candidat hors système, Emmanuel Macron est adoubé par les puissants, financé par de généreux donateurs et conseillé par des économistes néolibéraux. Depuis son arrivée au Palais, ce président mal élu a multiplié les cadeaux aux plus riches : suppression de l'ISF, défiscalisation des revenus du capital, suppression de l'exit tax, pérennisation des crédits d'impôt pour les entreprises... Autant de mesures en faveur des privilégiés qui coûtent un « pognon de dingue » alors même que les classes populaires payent la facture sur fond de privatisation des services publics et de faux-semblant en matière de politique écologique.
Mettant en série les faits, arpentant les lieux du pouvoir, brossant le portrait de l'entourage, ce livre fait la chronique édifiante d'une guerre de classe menée depuis le coeur d'une monarchie présidentielle.
Paris est sans doute l'une des oeuvres les plus méconnues d'Émile Zola, et les moins commentées par la critique. Destin étrange que celui de ce roman pourtant splendide, qui connaît une troublante actualité à l'époque : sa publication intervient en effet à un moment où la carrière de son auteur connaît un bouleversement majeur : son engagement en défense du capitaine Dreyfus et la publication de son fameux « J'accuse », dans L'Aurore du 13 janvier 1898.
Ce roman, passé inaperçu à l'époque, et qui s'inscrivait dans un triptyque avec Lourdes et Rome, résonne aujourd'hui de manière extraordinaire. En suivant le personnage de l'abbé Pierre Froment, Zola nous plonge dans l'atmosphère délétère d'une République affairiste - le scandale de Panama avait à l'époque révélé les collusions entre le monde politique et celui de la finance. République corrompue qui contraste avec la misère et l'extrême pauvreté que connaît le petit peuple de Paris. Mais c'est la vague d'attentats anarchistes des années 1892-1894 qui inspire à Zola le « fil rouge » de ce roman.
À la lecture de la préface d'Edwy Plenel, on découvrira ainsi à quel point cet ouvrage résonne singulièrement avec notre époque.
L'histoire de la publication des Mémoires de Louise Michel est étonnante : elle débute en 1886, chez l'éditeur Roy, sous le titre - maintes fois réédité - de Mémoires de Louise Michel écrits par elle-même. Tome I. Aucun autre tome n'a suivi. Et si, par la suite, sont venus s'accoler d'autres écrits de la célèbre anarchiste, les soixante-dix feuilletons qui constituent le véritable second tome, parus dans la presse de 1890, avaient « disparu », peut-être victimes collatérales d'une entreprise de récupération de l'autobiographie de Louise Michel juste après sa mort. Aussi l'édition de ce second tome, inédit en librairie, constitue-t-elle un événement.
Couvrant les années 1886-1890 (période qui s'ouvre après la mort de Marianne Michel, la mère, et de Victor Hugo, l'idole, pour se refermer en août 1890, à son départ pour Londres), ce gisement incroyablement riche révèle une écrivaine viscéralement engagée dans l'écriture, vivant ensemble le rapport à l'histoire, à la mémoire, au présent de sa lutte et à l'écriture.
L'édition critique de ces Mémoires, accompagnée d'un dossier documentaire, est établie par Claude Rétat, directrice de recherche au CNRS.
L'autonomie de la recherche et celle des universités sont aujourd'hui remises en cause par le pouvoir politique, soutenu par certains intellectuels. Les récentes polémiques autour des « déviations identitaires » et du supposé caractère idéologique des sciences sociales en sont des manifestations visibles.
Cet essai interroge les notions d'engagement et de distanciation critiques en les situant dans l'histoire du temps présent, puis en envisageant trois moments où s'est posée la question de l'autonomie de l'université et des savoirs : l'affaire Dreyfus, Mai-Juin 1968, le mouvement de contestation de 2019-2020 contre la loi de programmation de la recherche.
Cette mise en perspective conduit à appréhender plus généralement le rapport entre science et valeurs : en contestant les lectures dogmatiques des énoncés classiques d'Émile Durkheim et de Max Weber, ce livre invite à repenser l'idée de neutralité et à fonder autrement l'éthique de la discussion critique.
Alors que de nouvelles approches académiques, soulignant l'imbrication des dominations, suscitent inquiétudes et rejet, les auteurs montrent qu'elles permettent de penser un universalisme pluriel pour la société d'aujourd'hui et de demain.
Du genre autobiographique, on connaissait les récits sans enquête et les ego-histoires de « grands hommes » ; dans les sciences sociales, les enquêtes sur des proches tenus à distance par l'effacement de soi. Renouant avec l'ambition d'une sociologie sensible et réflexive, Rose-Marie Lagrave propose un nouveau type de socioanalyse : l'enquête autobiographique.
Ressaisissant son parcours en sociologue et en féministe, elle remet en cause les récits dominants sur la méritocratie, les stéréotypes associés aux transfuges de classe, le mythe d'un « ascenseur social » décollant par la grâce de talents ou de dons exceptionnels. Cet ouvrage retrace une migration sociale faite de multiples aléas et bifurcations, où domination de classe et domination de genre s'entremêlent : le parcours d'une fille de famille nombreuse, enracinée en milieu rural, que rien ne prédestinait à s'asseoir sur les bancs de la Sorbonne puis à devenir directrice d'études à l'EHESS, où elle croise notamment les chemins de Michelle Perrot, Françoise Héritier, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron.
Mobilisant un vaste corpus théorique et littéraire, Rose-Marie Lagrave ouvre sa malle à archives et la boîte à souvenirs. De ses expériences de boursière à ses engagements au MLF et sa pratique du métier de sociologue, elle exhume et interroge les traces des rencontres qui l'ont construite. Parvenue à l'heure des bilans, cette passeuse de frontières et de savoirs questionne avec la même ténacité la vieillesse et la mort.
Contre les injonctions de « réussir » et de « rester soi », ce livre invite à imaginer de nouvelles formes d'émancipation par la socioanalyse : se ressaisir, c'est acquérir un pouvoir d'agir, commun aux transfuges de classe et aux féministes, permettant de critiquer les hiérarchies sociales et de les transgresser.
« J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie.
Tout menace de ruine un jeune homme : l'amour, les idées, la perte de sa famille, l'entrée parmi les grandes personnes. Il est dur à apprendre sa partie dans le monde.
À quoi ressemblait notre monde ? Il avait l'air du chaos que les Grecs mettaient à l'origine de l'univers dans les nuées de la fabrication. Seulement on croyait y voir le commencement de la fin, de la vraie fin, et non de celle qui est le commencement d'un commencement. »
Dignité, justice sociale, partage du travail, égalité, rapport renouvelé à l'art, à l'éducation, à la culture et au quotidien... C'est tout cela, la Commune de Paris, une expérience révolutionnaire à bien des égards inouïe : pour la première fois, des ouvriers, des ouvrières, des artisans, des employés, des instituteurs et institutrices, des écrivains et des artistes s'emparent du pouvoir. Comme l'écrit Rimbaud qu'elle enthousiasme tant, la Commune entend vraiment « changer la vie » par des « inventions d'inconnu ». Ses protagonistes sont des femmes et des hommes ordinaires qui créent de l'extraordinaire, non seulement en l'imaginant mais en le mettant en pratique.
C'est de leur expérience si actuelle que part ce livre, sous une forme originale : il est composé de lettres adressées à ces femmes et ces hommes comme s'ils et elles étaient encore en vie et comme si on pouvait leur parler. Ces lettres rendent la Commune vivante et présente, par un entrelacement des temps. L'ouvrage s'appuie sur un vaste travail d'archives et de nombreux documents, le plus souvent inédits : correspondances, débats, projets, procès... Il offre aussi au regard plus de cent photographies qui s'égrènent tout au long de ses pages, images d'époque et images d'aujourd'hui, comme un télescopage entre passé et présent.
L'événement reste de par le monde une source d'inspiration, car il permet de réfléchir à l'émancipation, aux solidarités et aux communs. Il nous concerne toutes et tous, de manière plus brûlante que jamais, et demeure évocateur par les espoirs et les projets qu'il porte. Tant il est vrai que « la Commune n'est pas morte ».
Chronique brillante, spirituelle et gaie - émouvante aussi - de l'aristocratie anglaise de l'immédiat avant-guerre, La Poursuite de l'amour forme, avec L'Amour dans un climat froid un diptyque qui valut à Nancy Mitford (1904-1973) non seulement la faveur d'un large public, mais aussi l'admiration profonde d'un Evelyn Waugh comme d'un Henry Green.
Deux jeunes femmes à la poursuite de l'amour, tel est le sujet définitivement intemporel de ce roman. Elles sont cousines germaines et s'aiment tendrement. Autant Fanny se montre prudente et raisonnable dans cette quête, autant Linda, romanesque et sans frein, risque son va-tout chaque fois qu'elle s'éprend d'un homme ! La morale de l'histoire est tirée par Lord Merlin pour qui l'on se trompe toujours quand on est jeune : " L'amour, c'est pour les grandes personnes.
" Avec ses excentriques, ses belles, ses châteaux et sa campagne - bref tout ce qui fait le charme pas toujours discret mais éternel, de la verte Albion -, l'inoubliable fresque des Radlett et des Montdore compte au rang des joyaux de l'humour anglais.
la jeune charity, recueillie enfant par un avocat du petit
village de north dormer, en nouvelle-angleterre, s'est résignée à une vie étriquée, au pied des montagnes, rythmée par les heures qu'elle passe à dépoussiérer et ordonner la minuscule bibliothèque municipale.
un jour de début d'été, elle voit apparaître dans ce bout du monde un jeune architecte, lucius harney, venu dessiner des croquis d'habitats traditionnels de la région. très vite, elle s'éprend de lui. admirablement construit, ce court roman des espoirs et des cruautés de l'amour est également une description impitoyable de l'oppression exercée parla "normalité" sociale contre les aspirations de l'individu.
été, quoique fort chaste, traite avec franchise de la sexualité féminine, vue comme force
vitale puissante. un roman très en avance sur son temps qui, lorsqu'il fut publié en 1917, créa un véritable scandale. on alla jusqu'à le comparer à madame bovary, qui était précisément le livre préféré d'edith wharton.
Désormais classique dans le monde anglophone, ce livre est une puissante contribution à la critique de la tyrannie et de l'autoritarisme, cette facette inavouée et longtemps réprimée de notre modernité tardive.
Achille Mbembe interroge la manière dont les formations sociales issues de la colonisation s'efforcèrent, alors que les politiques néolibérales d'austérité accentuaient leur crise de légitimité, de forger un style de commandement hybride et baroque, marqué par la prédation des corps, une violence carnavalesque et une relation symbiotique entre dominants et dominés. À ces formations et à ce style de commandement, il donne le nom de postcolonie.
Si l'anthropologie, l'histoire et la science politique y ont leur place, cette ré?exion est avant tout d'ordre esthétique, car elle porte sur la stylistique du pouvoir. Elle tire son inspiration de l'écriture romanesque et de la musique africaine du dernier quart du XXe siècle. En allant à la rencontre de la création artistique et des esprits des morts, ce texte montre que dans des espaces apparemment voués au néant et à la négation gisent des possibilités insoupçonnées, celles-là mêmes qui permettent de ressusciter le langage.
Au moment de mourir, en 1924, Kafka demande à son ami Max Brod - qui s'y refusera - de brûler son journal, ses lettres, ses romans inachevés, etc. Quand, en 1968, Max Brod meurt à son tour, à Tel-Aviv, Kafka est reconnu comme l'un des plus grands écrivains du siècle et son héritage devient l'enjeu de querelles passionnées.
Les procès vont réveiller « l'éternel débat sur l'ambivalence de Kafka envers le judaïsme et le projet d'établissement d'un État juif - et sur l'ambivalence d'Israël envers Kafka et la culture de la diaspora ». Selon l'auteur, l'État juif repose notamment sur « l'idée que c'est seulement en Israël - et seulement en hébreu - que l'on peut à nouveau entrer dans l'histoire en tant que Juif ». Ce livre restitue le monde de Kafka de l'entre-deux-guerres. Le sionisme apparaît comme un refuge, face au double risque qui menace le peuple juif : d'un côté, la violence antisémite, de l'autre, la perte d'identité par une lente assimilation. Si Kafka n'a jamais vraiment adhéré au sionisme, il a appris l'hébreu avec passion. N'était-ce pas d'abord un « moyen de renaissance spirituelle » qui donnerait un nouveau sens à l'idée même de nation, grâce à l'amitié entre Juifs et Arabes ?
À qui appartient Kafka ? Et, plus généralement, à qui appartient l'héritage de la diaspora ? Kafka lui-même n'a pas tranché, soulignant qu'il était un Juif écrivant en allemand : « Suis-je un écuyer monté sur deux chevaux ? Malheureusement, je n'ai rien d'un écuyer. Je gis par terre. »
Le Triangle et l'Hexagone est un ouvrage hybride : le récit autobiographique d'une chercheuse. Au gré de multiples va-et-vient, l'autrice converse avec la grande et les petites histoires, mais également avec la tradition intellectuelle, artistique et politique de la diaspora noire/africaine. Quels sens et significations donner au corps, à l'histoire, aux arts, à la politique ?
À travers une écriture lumineuse, Maboula Soumahoro pose son regard sur sa vie, ses pérégrinations transatlantiques entre la Côte d'Ivoire des origines, la France et les États-Unis, et ses expériences les plus révélatrices afin de réfléchir à son identité de femme noire en ce début de XXIe siècle. Ce parcours, quelque peu atypique, se déploie également dans la narration d'une transfuge de classe, le récit d'une ascension sociale juchée d'embûches et d'obstacles à surmonter au sein de l'université.
Cette expérience individuelle fait écho à l'expérience collective, en mettant en lumière la banalité du racisme aujourd'hui en France, dans les domaines personnel, professionnel, intellectuel et médiatique. La violence surgit à chaque étape. Elle est parfois explicite. D'autres fois, elle se fait plus insidieuse. Alors, comment la dire ? Comment se dire ?
Après La Poursuite de l'amour, vendu à plus d'un million d'exemplaires lors de sa parution et dont le succès ne s'est jamais démenti depuis, L'Amour dans un climat froid, second volet d'un diptyque désormais fameux, devait achever de faire de Nancy Mitford une figure culte des lettres anglaises, son ironie, sa désinvolture, son humour aigu en ayant fait l'héritière légitime de Swift, de Sterne, de Wilde.
On retrouvera donc dans ce roman les personnages excentriques et passionnés qui donnent à la saga des Montdore et des Radlett son incomparable brio tant il est vrai que personne mieux que Nancy Mitford (1904-1973) ne pouvait décrire les milieux insouciants et joyeux de l'aristocratie anglaise de l'entre-deux-guerres, et les premiers émois sentimentaux et charnels de jeunes ladies d'une famille très conventionnelle.
Le présidentialisme est au régime présidentiel ce que l'intégrisme est aux religions, ce que l'absolutisme est aux monarchies, ce que le sectarisme est aux convictions. Le problème n'est pas l'existence d'une présidence de la République mais l'accaparement de cette fonction par un seul homme, véritable monarque sans couronne. Legs du bonapartisme français, notre présidentialisme est un régime d'exception devenu la norme. Une norme dont l'excès n'a cessé de s'étendre depuis le long règne de François Mitterrand.
Avec Emmanuel Macron aujourd'hui, mais dans le droit fil des ambitions de Nicolas Sarkozy et des renoncements de François Hollande hier, le présidentialisme français ne cesse de s'affirmer comme l'ennemi foncier d'une République démocratique et sociale. Cette confiscation de la volonté de tous par le pouvoir d'un seul la mine de l'intérieur, la corrompt et l'affaiblit, creusant la dépression citoyenne et accroissant la démobilisation électorale. En nos temps incertains et imprévisibles, elle pose les bases d'un régime autoritaire au service d'intérêts sociaux minoritaires.
Face à ce danger, Le Président de trop plaide pour une radicalité démocratique. Celle d'une République garantissant l'expression, la mobilisation et l'invention de la société contre les inégalités, injustices, corruptions et mensonges qu'enfantent, inévitablement, pouvoir et domination en place dans leur éternelle volonté de se succéder à eux-mêmes.
Cette année de meetings qui s'ouvre nous rappelle qu'en France, l'élection présidentielle demeure pensée comme la rencontre entre un homme (providentiel) et un pays (imaginaire). C'est cet imaginaire national, aussi verrouillé que vieilli, que la Revue du Crieur se propose de défaire et de libérer de ses pesanteurs historiques et de ses crispations idéologiques. Notre dossier d'ouverture passe ainsi au crible le rapt conservateur des principes républicains, qui nous empêche de penser la République comme garante d'une liberté émancipatrice ; revient sur le refoulement de la question coloniale et la persistance de l'impérialisme hexagonal ; décrypte le fantasme de la grandeur nationale et le mythe de la « puissance » ; lève le voile, enfin, sur la grande illusion du progrès et de l'innovation, au coeur des politiques économiques de la France depuis les Trente Glorieuses.
Ce dix-neuvième numéro continue le travail d'enquête sur les idées que mène la revue depuis sa création, en proposant de retracer soixante-dix ans de réception de l'oeuvre de Simone de Beauvoir depuis la publication en 1949 du Deuxième Sexe- avec une question centrale : que reste-t-il de l'héritage de cette philosophe majeure du XXe siècle ? ; mais aussi de dresser le portrait de Bernard Rougier, universitaire reconnu et respecté, spécialiste de l'islamisme au Proche-Orient, devenu l'« éminence grise » de la politique française de lutte contre le « séparatisme » ; et encore de décrire les critiques qui visent le symbole de l'excellence de la recherche française, le CNRS.
Au sommaire également, un reportage en photos qui nous plonge dans les arcanes autoritaires du pouvoir tchétchène et les méthodes de son chef, Ramzan Kadyrov, lequel règne sur cette fédération du Caucase du Nord depuis près de quinze ans en s'appuyant sur l'islam et le sport ; ainsi qu'une déambulation dans un univers familier aux geeks de toute la planète : celui des e-girls, ces jeunes femmes qui mêlent jeux vidéo, réminiscences de Lolita, univers du manga et amour des chatons afin de se faire un nom sur les réseaux sociaux et ainsi monnayer leur popularité.
« Il n'y a de puissance que dans la Relation, et cette puissance est celle de tous.
Toute politique sera ainsi estimée à son intensité en Relation. Et il y a plus de chemins et d'horizons dans le tremblement et la fragilité que dans la toute-force ».
Cet ouvrage rassemble pour la première fois six textes : De loin..., Dean est passé. Il faut renaître. Aprézan !, Quand les murs tombent et L'Intraitable beauté du monde coécrits par Patrick Chamoiseau et Édouard Glissant ; et avec Ernest Breleur, Gérard Delver, Serge Domi, Bertène Juminer, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar et Jean-Claude William le Manifeste pour un projet global et le Manifeste pour les « produits » de haute nécessité.
Toutes les sphères de l'existence sont désormais pénétrées par le capital, et la mise en ordre des sociétés humaines s'effectue dorénavant selon une seule et même directive, celle de la computation numérique. Mais alors que tout pousse vers une unification sans précédent de la planète, le vieux monde des corps et des distances, de la matière et des étendues, des espaces et des frontières, persiste en se métamorphosant. Cette transformation de l'horizon du calcul se conjugue paradoxalement avec un retour spectaculaire de l'animisme, qui s'exprime non sur le modèle du culte des ancêtres, mais du culte de soi et de nos multiples doubles que sont les objets.
Avec le devenir-artificiel de l'humanité et son pendant, le devenir-humain des machines, une sorte d'épreuve existentielle est donc engagée. L'être ne s'éprouve plus désormais qu'en tant qu'assemblage indissociablement humain et non humain. La transformation de la force en dernier mot de la vérité de l'être signe l'entrée dans le dernier âge de l'homme, celui de l'être fabricable dans un monde fabriqué. À cet âge, Achille Mbembe donne ici le nom de brutalisme, le grand fardeau de fer de notre époque, le poids des matières brutes.
La transformation de l'humanité en matière et énergie est le projet ultime du brutalisme. En détaillant la monumentalité et le gigantisme d'un tel projet, cet essai plaide en faveur d'une refondation de la communauté des humains en solidarité avec l'ensemble du vivant, qui n'adviendra cependant qu'à condition de réparer ce qui a été brisé.
En 1831, à vingt-deux ans, le jeune Charles Darwin part comme naturaliste sur le Beagle, qui doit faire un tour du monde de cinq ans, en s'attachant plus particulièrement à naviguer le long des côtes de l'Amérique du Sud en passant le cap Horn, puis revenir en doublant le cap de Bonne-Espérance. Ce voyage aura une importance décisive pour la formation de la pensée de Charles Darwin. C'est à partir de là que, ayant rassemblé une somme monumentale, inégalée, d'informations scientifiques, il pourra élaborer le travail qui le mènera à formuler sa théorie de l'origine des espèces, travail dont on devine qu'il est déjà sous-jacent à chaque page de ses passionnantes observations. Il décrit minutieusement les paysages, les roches, les fossiles, la faune, la flore, les phénomènes naturels, les sociétés et les moeurs des habitants...
L'être humain devient humain quand il invente le théâtre. La profession théâtrale, qui appartient à quelques-uns, ne doit pas cacher l'existence et la permanence de la vocation théâtrale, qui appartient à tous. Le théâtre est une vocation pour tout être humain. Le théâtre de l'opprimé est un système d'exercices physiques, de jeux esthétiques, de techniques d'images et d'improvisations spéciales, dont le but est de sauvegarder, développer et redimensionner cette vocation humaine, en faisant de l'activité théâtrale un outil efficace pour la compréhension et la recherche de solutions à des problèmes sociaux et personnels.
C'est tout simplement le Paris populaire de la fin du XVIII siècle que Louis-Sébastien Mercier nous invite à découvrir dans ce " tableau " publié entre 1781 et 1788 et dont Brissot a pu écrire qu'il " n'a pas peu contribué à accélérer la Révolution". " J'ai tant couru pour faire le tableau de Paris que je puis dire l'avoir fait avec mes jambes... " Mêlant descriptions objectives et critiques acerbes des moeurs, cette oeuvre immense et inclassable, dont sont présentés ici des extraits choisis, nous convie au spectacle d'une société disparue sous les effets conjugués de la tourmente révolutionnaire et de l'industrialisation. Par la précision de ses informations et la force de son engagement, Le Tableau de Paris constitue tout à la fois un témoignage engagé et un travail d'historien et de sociologue. Mais la richesse de son écriture fait de ce texte unique en son genre un classique de l'histoire littéraire.